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Mais la semaine dernière il travaillait tous les jours au-dessus des Boches. Vitesse assez médiocre, comme vous voyez…

… « La vitesse de l’avion de chasse ? Ça dépend du type. Ceux-ci : cent soixante à l’heure, près du sol, cent quarante à mille mètres, cent vingt à deux mille, parce que la résistance de l’air diminuant avec la hauteur, il faut cabrer l’appareil pour le faire appuyer, ce qui freine. L’essentiel pour le combat, c’est de monter vite. On parle d’appareils qui monteront à quatre mille mètres en dix-sept minutes. On se demande comment le poumon, le foie résisteront à ces changemens de pression. Mais pour manœuvrer l’adversaire, il faut le dominer, choisir son moment et venir tomber sous sa queue, dans son angle mort où il ne peut vous atteindre. Si l’ennemi est plus vite, s’il vous poursuit, vous voyez qu’avec ce type d’appareil, il n’y a pas grand’chose à faire : la mitrailleuse ne tire qu’en avant. Quelques-uns se laissent tranquillement gagner de vitesse, et tout d’un coup font le loop par-dessus l’adversaire, et se retrouvent derrière lui, en position pour le mitrailler. C’est plus intéressant qu’au début où l’on courait bord à bord en échangeant des salves. Avec le Focker, le mieux c’est de virevolter, bourdonner autour. Il y en a un qui est descendu dans nos lignes, l’autre jour, parce que le Français l’avait affolé. Pour ces manœuvres-là, nous valons mieux qu’eux. La supériorité du Français, c’est le cran individuel…

… « Oui, une seule place. Il faut tout faire soi-même, actionner les quatre commandes, manœuvrer le Boche, tourner autour de lui, le viser, tirer, changer le chargeur… »

Nous songions à ce qu’il avait l’air d’oublier : les deux ou trois mille mètres de vide au-dessous d’une telle bataille, avec le sentiment de la chute possible, presque certaine pour l’un des deux. Cette chute, ils l’ont tous vue : l’appareil tombant sur une aile, se relevant, tombant sur l’autre avec des oscillations de feuille morte, et tout d’un coup, la descente en vrille jusqu’à terre, jusqu’à l’embrasement final. Ils n’en parlent jamais.

… « C’est vrai, continua-t-il, c’est beaucoup de choses à la fois : tout le monde ne peut pas faire çà. Aussi, la sélection s’opère toute seule. Rien ne compte ici que l’aptitude. La tension, la dépense nerveuse sont énormes. Après un combat, on voit parfois un pilote ramener son appareil sans une défaillance