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liste soigneusement dressée des Américains qui fréquentaient soit à l’Ecole des Beaux-Arts, soit aux différentes académies, Julian, Colarossi, etc., comprenait une statistique précise, et détaillée point par point, de l’argent dépensé en France, non seulement par ces jeunes gens, mais encore par les parens ou les amis qu’ils y attiraient à leur suite : frais de pension, achats de vêtemens, billets de théâtre, tout, — et même le reste, — y était calculé à un centime près. J’en demeurai abasourdi. Appelé pour fournir des éclaircissemens sur ma propre partie, c’était moi qui en recevais. Alors, quelle pouvait donc être la raison vraie pour laquelle on m’avait fait venir ? Je la découvris le lendemain, en m’entendant offrir une place enviable dans l’enseignement officiel de la peinture, avec un spacieux atelier qui me serait octroyé gratuitement, si je consentais à me fixer pour un certain nombre d’années en Allemagne. Je déclinai naturellement la proposition. L’air de Berlin m’eût été irrespirable : j’ai trop la France dans le sang… Mais, — concluait Dabo, — ce qu’il faut que vous reteniez, ce qu’il faut que vous lui répétiez, à cette chère France, patrie de tout ce qui est finesse, de tout ce qui est art, de tout ce qui est beauté, c’est que, parmi mes confrères américains, il ne s’en est pas trouvé deux, je dis bien deux, pour se comporter autrement que moi, en présence d’offres identiques ou même plus avantageuses. Tous les ont refusées, sauf un, Gari Melchers, pour ne pas le nommer : encore, au bout de trois ans, en avait-il assez de leur Germanie. Et ce que je vous raconte là se passait hier : jugez de ce que ce serait aujourd’hui, après Ypres, après Reims, après Arras… Ah ! les Vandales !

Les Vandales ! Je n’ai pas franchi le seuil d’un atelier amériricain, sans entendre partout le même cri de protestation indignée contre les démolisseurs méthodiques, c’est-à-dire deux fois flétrissables, de la beauté française, de la beauté universelle.

— A nos yeux à nous, me déclarait le peintre Bosseau, ils se sont ensevelis eux-mêmes pour jamais sous les amas de pierres sacrées dont ils ont stupidement jonché votre sol. Ces gens-là pourront avoir tous les musées qu’ils voudront : l’art n’a plus rien à faire avec eux ; ils ont perdu jusqu’au droit d’en invoquer le nom.

Mais Ici témoignage peut-être le plus émouvant de la ferveur,