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offrir la paix. Elle, qu’on a eu l’injustice de prétendre accabler au nom du droit violé, d’essayer de mettre au ban de la civilisation, de rayer de l’humanité, elle ne demande qu’à entrer, pour la guider, dans la future société des nations. Mais le chef-d’œuvre de toute cette préparation de théâtre, c’est d’avoir réussi à faire travailler, outre l’Allemagne et les neutres, l’opinion chez les belligérans, jusque dans les États de la Quadruple-Entente. Aux environs du jour où le chancelier allait se présenter devant le Reichstag avec son dernier « chiffon de papier, » certaines démarches étaient faites çà et là, certaines conversations étaient échangées, certaines motions étaient votées, certains partis étalaient aux regards les marques d’un don de divination étrange. « Nous devons, a fait observer, à ce sujet, le Giornale d’Italia, féliciter les députés socialistes de la preuve d’exquise sensibilité qu’ils viennent de nous donner ; comme certains animaux pour le tremblement de terre, eux et nos neutralistes, ils disposent évidemment d’un sixième sens qui leur permet d’annoncer à l’avance les décisions de l’Empire allemand, et de pressentir à distance, dans l’espace et dans le temps, les mouvemens sismiques du gouvernement de Berlin. » A Berlin même, le 11 décembre, les journaux redisent une fois de plus, pour le dedans et pour le dehors, ce qu’ils ont dit tant de fois depuis trois semaines ; dans l’intervalle, la mobilisation civile a été décrétée ; tous les silencieux, Hindenburg, Mackensen, Ludendorff, Grœner, se sont répandus en effusions aussi concordantes qu’inaccoutumées; une l’ois de plus, eux aussi, ils ont, à la face de l’univers, célébré la puissance allemande, la constance allemande, la victoire allemande et, comme de juste, l’invincibilité allemande. La scène est dressée, l’affiche posée, le décor en place, la troupe au complet, la salle faite, claque et cabale, parce qu’il faut qu’il y ait même des mécontens, — oportet hæreses esse ; — la préparation est achevée ; nous arrivons ici à l’exécution.

Le Reichstag avait été ajourné à long terme : subitement on le rappelle. Qu’est-ce à dire ? Qu’y a-t-il ? Un mot magique circule d’autant plus fort qu’on feint de le retenir : la paix. Autour de lui s’agrègent et se cristallisent toutes les douleurs et toutes les aspirations de la foule. Elle assiège, anxieuse, haletante, les portes du palais, empli pour elle d’un mystère sacré. Des gens de cour, des fonctionnaires, des officiers en uniforme ont pris d’assaut les galeries, s’entassent sur l’estrade même où se tiennent à l’ordinaire les membres du Conseil fédéral. L’attente se prolonge, les nerfs se tendent, on s’interroge ; enfin, M. de Bethmann-Hollweg paraît, il demande la