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qu’elle contenait une vérité profonde. Ne pas s’agiter inutilement, ne pas user son énergie en vains efforts, savoir attendre, c’est, dans le péril, quel qu’il soit, augmenter les possibilités de résistance et les chances de salut.

Cependant, l’on raconte des histoires de naufrage et de noyade, et chacun donne son avis ou rapporte l’opinion de personnes très compétentes.

Les quatre nouvelles voyageuses se souviennent des conseils dont on les accabla, dès qu’elles firent connaître à leurs amis leur intention de voyager sur mer. Au printemps de 1916, ce genre de sport n’est plus très à la mode, et qui le pratique est taxé tour à tour d’héroïsme ou d’excentricité. Malgré le peu de danger que présente une traversée sous le pavillon de la Croix-Rouge, d’amicales sollicitudes s’exagèrent et voudraient vous convaincre que vous allez courir de grands périls !… On vous engage discrètement à voir votre confesseur et votre notaire et à faire une visite dans certains magasins spéciaux où l’on peut choisir parmi les spécimens perfectionnés les plus récens appareils de sauvetage : ceintures de liège, gilets de kapok, vêtemens pneumatiques, le tout du meilleur goût. Mme Tr… a reçu, la veille de son départ, une délicieuse ceinture couleur kaki, légère comme un foulard de soie, et que l’on peut gonfler très vite en soufflant par un petit robinet. C’est presque aussi joli que les masques contre les gaz asphyxians mis en vente par les grands magasins, à côté des « fournitures pour modes, » après chaque raid de Zeppelins !

On discute aussi sur la manière de se jeter à l’eau, et sur le risque fâcheux que l’on court à se précipiter du pont supérieur avec un collet pneumatique autour du cou. Excellent moyen, paraît-il, de se rompre les vertèbres cervicales et de mourir comme un vulgaire lapin… Cette causerie instructive, avant le déjeuner, ne trouble pas nos esprits, car personne ne croit au danger possible. La Croix-Rouge est notre fétiche protecteur, — et puis, il y a la veine ! Il y a cette certitude mystérieuse du succès qui est en nous, et qui, devant le périscope d’un sous-marin, nous ferait dire que la mauvaise bête manquera le but. Il y a la beauté du jour, la paix des eaux, qu’une houle, venue du fond, soulève à peine, et tout ce bleu qui porte, qui baigne, qui caresse, onde et reflet, le beau navire blanc comme un cygne.