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pour le compte d’autrui, sans profit personnel, par goût du jeu et pour l’amour de l’art. Ainsi fit-elle, lorsqu’il s’agit de servir la fortune de Mlle des Hayes.

Elle la connaissait de longue date, l’ayant vue tout enfant chez sa tante de Fontaine, au château de Passy, dont elle était voisine ; car elle possédait une bicoque dans ce joli village, alors réputé pour ses eaux. Des liens assez étroits s’étaient ainsi formés entre les Tencin, frère et sœur, et les Boutinon, mère et fille. Charles-Louis Boutinon, le chevalier d’Assay, frère aîné de Thérèse, deviendra prochainement secrétaire de Pierre de Tencin, devenu cardinal, et, pendant deux années, le suivra dans ses déplacemens. Les lettres du jeune secrétaire, adressées à sa sœur dénotent l’intimité qui unissait son illustre patron avec « Mimi Dancourt » et avec les La Pouplinière, devenus ménage régulier. Il n’est nullement surprenant que Thérèse et sa mère aient fait à leur vieille et adroite amie la confidence de leurs désirs et l’aient priée de les aider dans leurs projets matrimoniaux.

Elles ne pouvaient mieux tomber. Marier les gens était une des marottes de Mme de Tencin, qui n’avait point tâté du mariage pour son compte. Dans le cours de sa longue et laborieuse carrière, entre deux négociations politiques ou diplomatiques, on la voit sans cesse occupée à quelque entreprise de ce genre[1]. Ce fut donc avec empressement qu’elle consentit à s’employer pour forcer les hésitations du fermier général. « Il vous épousera et j’en fais mon affaire, aurait-elle répondu à l’intéressante suppliante. Cachez-lui que vous m’avez vue et dissimulez avec lui[2]. » Ceci dit, Mme de Tencin se mit résolument à l’œuvre.

On approchait alors d’une heure toujours critique pour les participans de la Ferme générale, l’époque du renouvellement de leur bail. C’est en octobre 1737 que le nouveau contrat devait être signé. Tous les intéressés étaient plus ou moins sur le gril, et La Pouplinière comme les autres. Quelques semaines avant cette échéance, un entretien eut lieu entre le cardinal de Fleury et Mme de Tencin. Celle-ci lui parla de sa protégée comme d’une jeune innocente, séduite, sur promesse de mariage, par un riche libertin, par un don Juan de la finance. Elle peignit habilement la bonne foi, la « crédulité » de l’une, la rouerie

  1. Souvenirs de la marquise de La Ferté-Imbault.
  2. Mémoires de Marmontel, tome I.