de campagne, tout illuminée par l’acétylène, ressemblait, avec ses murs et ses toits en grosse toile de tente, à quelque baraque foraine ; le long de la route, alignés comme à la sortie d’un théâtre, les automobiles attendaient, tout prêts à emmener dans les blancs asiles de paix les grands meurtris de la bataille. Si je vivais depuis longtemps sur le front, je serais sans doute blasé sur cette détresse des nuits d’attaque ; et je devais payer alors, dans cette longue marche de retour, les trop grandes espérances déçues dont je m’étais enchanté jusqu’à la fin de la journée. Néanmoins il faut penser fortement à la victoire nécessaire, à la revanche de la justice, pour ne pas se laisser démoraliser par ces spectacles de désolation.
Ce 9 mai 1915.
Je t’annonce aujourd’hui une bonne nouvelle : j’ai eu la messe à Martincourt. Ce fut vraiment fort bien : l’église était comble ; il y avait de la gravité et de la sérénité dans les visages ; une grande paix était descendue sur tous ; chacun sentait plus ou moins confusément que dans cette petite église de village il trouvait le véritable secret de l’étrange aventure où il était jeté. Et moi, en sentant aussi plus fortement que jamais les vérités éternelles qui donnent au mystère de la vie son sens et au sacrifice sa grandeur, je jouissais pour mon pays de voir ces hommes assemblés et priant. Si seulement l’ « union sacrée » pouvait se sceller un jour entre tous les Français dans les églises de France ! C’est là que l’on pourrait effectivement la réaliser, cette « union sacrée » qui serait autre chose qu’un armistice, et qui serait l’union des âmes dans la même divine espérance. Oui, sur ces bancs poussiéreux de la petite église, plus encore que dans la tranchée, Je me sentais frère avec ceux qui m’entouraient. J’ai aperçu de loin avec plaisir quelques hommes de ma section, un entre autres que j’avais déjà vu communier à Ecrouves et qui a un clair et doux regard d’apôtre, d’apôtre avant l’appel. La messe était dite par un cavalier encore jeune, avec une moustache presque de mousquetaire. C’est vraiment une vision de guerre, ou si tu veux de « Ligue » que ce prêtre en culotte rouge et en houseaux, dont l’aube gazait à peine la silhouette militaire.