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faut s’abandonner à lui avec une invincible espérance, car c’est le seul appui qui ne cède pas et qui soit digne d’une grande douleur.


À M. Victor Giraud.

En campagne, ce 26 juillet 1915.

Et moi aussi, bien cher ami, je suis resté longtemps silencieux. Je m’en accuserais, si j’avais plus de loisirs ; mais la vie militaire, surtout en campagne, est peu propice à la correspondance. On a souvent fort à faire ; et, quand « on pourrait disposer, » ce qui signifie faire ce que l’on veut, il y a les exigences de la camaraderie et de la vie en commun qui vous grignotent ce qui peut vous rester de liberté. Il faut s’y résigner de bonne grâce. Depuis un mois environ, j’ai quitté ma haute école de guerre villageoise et je suis revenu dans la belle forêt meusienne d’où j’étais parti. En face de nous, se dressent les nobles falaises d’Apremont d’où le Boche nous nargue. Entre notre lisière et le pied de ces collines, il y a une belle plaine herbue, large d’environ un kilomètre. Chaque soir, chacun fait 500 mètres en avant jusqu’à ce qu’on se trouve à peu près bec à bec. Et, quand, à l’Est, le ciel blanchit, eux remontent la côte, et nous, nous rentrons dans nos taillis. De temps à autre, quand on se sent si voisins, on se chamaille un peu, on se coupe des fils de fer, on se tire quelques coups de fusil, on met bas quelque pauvre diable. Jusqu’à présent, comme vous voyez, je n’ai pas encore fait les frais de ces petites fêtes de nuit. Chaque quatre jours, c’est mon tour de prendre les avant-lignes. Quand la nuit est merveilleuse comme aujourd’hui, c’est « le songe d’une nuit d’été ; » mais quand la pluie tombe lourdement sans arrêt, c’est un divertissement un peu frais de rester allongé cinq ou six heures dans les grandes herbes ruisselantes. Traitement homéopathique de premier ordre pour rhumatisans. Pour moi, je m’en trouve très bien. Il faut dire que, le reste du temps, je me promène dans la forêt, surveillant l’aménagement des travaux de défense, ou bien, comme en ce moment, je griffonne du papier dans une jolie hutte de branchages où je voisine avec une vingtaine de souris et deux gros rats. Jusqu’ici nous faisions assez bon ménage ; mais les voilà qui deviennent familières et s’en vont me caresser du museau quand je dors