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on reçoit des coups comme celui-là ! On voudrait nier : il semble que notre tendresse pour ceux qui nous sont si chers devrait être plus forte que la mort, et que l’âpre désir de les conserver pour nous ferait autour d’eux comme le vide du péril. Il y a une immense souffrance et, en même temps, cette humiliation de sentir au-dessus de nous quelque chose d’inexorable qui nous brutalise ainsi. Un frisson de doute et de révolte nous secoue : A quoi bon ? et la vie n’est-elle pas meilleure que toutes les gloires ? Surtout quand celui qu’on aurait voulu garder avait l’âme si riche, si séduisante, quand notre cœur avait si besoin de lui et qu’on ne peut plus se représenter la vie sans lui ? Je sais tout ce qu’Emile était pour vous. Quand un frère est par surcroît un ami, il y a peu de douceurs humaines qui valent celle-là. Dans votre commun bonheur, il n’était jamais entré que pour en jouir avec vous et pour y mettre un charme de plus. Il voulait bien me témoigner de l’amitié ; je la lui rendais de tout cœur, en y apportant une instinctive nuance d’admiration. J’admirais cette intelligence si vive, cette belle énergie au service d’un idéal, cette bonté qu’on ne pouvait que deviner, tant elle était discrète., S’il n’avait pas eu cette fière audace des généreux, sans doute aujourd’hui encore il serait de ceux qui vivent ou qui, du moins, attendent leur tour ; mais, pouvant disposer de sa vie, il a jugé que son devoir était de faire plus que son devoir, et qu’une vie, si utile qu’elle fût, ne vaudrait pas l’exemple qu’il donnerait en la perdant ; car une mort comme celle-là fait germer la vie derrière elle : elle laisse à ceux qui en souffrent et qui l’admirent le désir de n’être pas indignes d’un tel avant-coureur ; elle restera toujours, pour vos enfans comme pour vous, un ferment de générosité. Quant à lui, disons-nous qu’il aura connu « la paix » avant nous, qu’au sortir du tumulte sanglant où il est tombé, il s’est réveillé dans cette sérénité sans fin qui attend les défenseurs de la justice, et qu’oubliant les dernières horreurs que ses yeux ont vues, il ne garde plus dans sa joie immortelle que la vision de ceux qu’il a aimés.


A sa femme.

En campagne, ce 1er avril 1916. J’aurais presque honte de me sentir si heureux à la tranchée, en songeant à tout ce que tu souffres loin de moi… Pour le