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pleure comme une jolie âme charmante, animula blandula, avec qui va s’éteindre le sourire du monde. Deux, trois jours se passent. Au deuil anticipé succède brusquement une stupeur joyeuse. « Eh mais ! qu’est ceci ? » Ceci, c’est la France de la mobilisation qui se lève, c’est la France de l’union sacrée qui forme bloc. Toute la nation sur pied, d’un seul élan. Des départs sans cris, des adieux sans plaintes. Des fleurs aux fusils, mais la gravité sur les visages. Une conscience effroyablement lucide de la solennité de l’heure se traduisant chez le citoyen le moins cultivé comme chez le plus raffiné par l’acceptation virile des chances à courir, quelles qu’elles puissent être, et la résolution arrêtée de les courir une fois pour toutes, au prix de n’importe quels sacrifices, jusqu’au bout. Nulle part, je pense, la grandeur unique de ce spectacle n’a causé une plus profonde impression qu’en Amérique, peut-être parce qu’il n’y a pas de pays où l’on ait, en général, plus goûté nos apparences et plus méconnu notre réalité. Une France sans nervosisme, une France sans gesticulation, une France sans bavardage, quel paradoxe ! Cela était pourtant. Des mois après, on n’en était pas revenu. Que de reporters me demandaient encore, dans l’hiver de 1915, des « interviews » sur « la France qui se retrouve, » comme si elle se fût jamais perdue ! Cependant, le ciel reste noir au-dessus de nos têtes. Plus on nous admire, plus on tremble pour nous ; et notre frontière rompue, nos provinces du Nord submergées, le raz de marée germanique déferlant presque au seuil de Paris justifient malheureusement les pires appréhensions. Ne nous serions-nous révélés si grands que pour mourir en beauté ? La victoire de la Marne se charge de fournir la réponse. Du coup, nous voilà classés. On ne nous admire plus seulement, on nous respecte, de ce respect spécial qui, en Amérique, va d’instinct aux triomphateurs. Jusqu’à cette date, dans la logique américaine, c’était l’Allemagne qui, normalement, sinon légitimement, devait triompher sur toute la ligne. Ne possédait-elle pas la fameuse « efficience, » une « efficience » hors de pair, représentée par quarante années de préparation, une armée innombrable, fonctionnant avec la précision mécanique d’un concasseur, un matériel colossal, une absence illimitée de scrupules et la détermination sauvage de réussir ! La France, elle, avait commencé par être l’ « inefficience » même. Or, qu’arrive-t-il ? Cette France « inefficiente » prend à peine quelques semaines