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guère de mois qu’elle n’entendit s’écrouler un de ses ponts, sauter un de ses bateaux, s’effondrer sur des monceaux de cadavres une de ses usines en feu. Chez elle aussi la torche incendiaire de la barbarie courait, promenée par des mains allemandes. Son industrie n’était plus maîtresse de travailler impunément pour la clientèle européenne dont elle avait accepté les ordres : un terrorisme savamment organisé, qui, au vu et au su d’un chacun, recevait ses instructions de l’ambassade d’Allemagne à Washington, montait la garde autour des établissemens mal notés et, sur un signal venu de l’agence officielle du Kaiser, les bombardait à coups de catastrophes. C’était à se demander si le président des États-Unis avait nom Wilson ou Von Bernstorff. De fait, en présence de l’attitude des Germano-Américains, l’Amérique n’avait plus à douter qu’elle portait une autre Allemagne dans ses flancs. Ce fut une constatation-douloureuse, vraiment pathétique. Un des hommes qui sont l’honneur de la presse périodique américaine, M. Lawrence Abbott, directeur de l’Outlouk, me le disait avec une émotion qui lui mettait quasiment des larmes dans la voix :

— Nous sommes plus envahis que vous ne l’êtes. Vous avez, dans votre région du Nord, un million et demi de Boches que vous décimez chaque jour et que vous aurez, bientôt, complètement chassés : nous, c’est vingt ou vingt-cinq millions de leurs pareils que nous hospitalisons sur tout notre territoire, dans toutes nos campagnes, dans toutes nos villes. Et ils ne sont pas chez nous, s’il vous plaît, ils sont chez eux. Nous n’avons même pas la ressource de leur tirer dessus, et nous ne les chasserons jamais ! Vainement nos gazettes leur ont crié, ces temps-ci, sur tous les tons : « Puisque le doux Vaterland, puisque la chère vieille Allemagne vous obsède à ce point, mais retournez-y donc, pour l’amour de Dieu ! » Pas un n’a bougé, ni ne bougera. Nous sommes condamnés à eux à perpétuité. Nous nous flattions de les avoir américanisés : quelle illusion ! C’étaient eux qui nous germanisaient. Parfaitement. Tenez ! que n’a-t-on pas écrit de l’inurbanité américaine, de la brutalité américaine, voire de la grossièreté américaine ? Eh bien ! croyez-moi, rien de cela n’est génériquement américain. Ce sont plaies d’Allemagne introduites sur nos bords par des séquelles d’émigrans d’outre-Rhin et dont trop de nos compatriotes ont sinistrement subi la contagion. Là où l’Amérique s’est dépolicée, la faute