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de corps et d’âme ; j’aime ma patrie par-dessus tout ; je souhaite à nos ennemis un écrasement dont ils ne parviennent pas à se relever durant de longues années ; et je suis prête à tous les sacrifices pour notre sainte cause nationale : mais avec cela, vois-tu, il y a trois choses auxquelles il me serait impossible de renoncer, — aux cigarettes russes, aux parfums anglais, et aux toilettes de Paris !

Revenant ensuite à des thèmes d’ordre plus « terre-à-terre, » Mme von Duffel demande à Loni de ne plus l’appeler sa « tante, » — ce qui risquerait de la vieillir aux yeux des « messieurs comme il faut » de la ville. D’autres nièces qu’elle a laissées dans la Prusse Orientale, — et à qui elle avait adressé la même requête, — ont pris l’habitude de l’appeler « Tatia. » Et, en effet, Loni trouve ce mot si ingénieux, à la fois, et d’un si joli cachet « exotique, » — comme une traduction russe (et secrète) du mot : « tante, » — qu’elle jure de l’employer toujours dorénavant. Après quoi, sur une nouvelle prière de sa « Tatia, » elle décrit à celle-ci l’objet et la nature des « soirées de guerre » organisées par les « dames » de la ville, et où doit se faire, ce même jour, la présentation solennelle de l’irrésistible « réfugiée. » Elle raconte de quelle manière, depuis le mois d’août 1914, — ou plutôt, sans doute, depuis bien avant la date officielle de la « mobilisation, » — toutes les « dames » de la ville s’étaient mises à ne parler absolument que de la guerre : si bien que, vers le début de l’année suivante, — et probablement à l’instar de Berlin, — quelques-unes d’entre les plus jeunes de ces dames ou d’entre les plus « lancées » ont imaginé de réagir contre cette « contagion » de la pensée de la guerre en créant des réunions où, chaque semaine, il serait interdit de prononcer le mot de « guerre » ou de hasarder la moindre allusion aux opérations de l’état-major. « Nous commençons par souper copieusement, et puis nous causons, et parfois l’une de nous fait un peu de musique, ou bien nous récite un peu de poésie. » Deux marks d’amende à toute dame qui dit : « Cette guerre est terrible ! » Trois marks, si quelqu’un se laisse aller à exprimer le souhait « de voir bientôt finir cette affreuse guerre. » Et ainsi de suite, d’après un tarif sévèrement observé. Sur quoi Mme von Duffel, tout en approuvant « de corps et d’âme » l’invention de ces « soirées de guerre, » ne peut s’empêcher d’insinuer que leur réalisation ne doit pas être toujours très divertissante. Et comme Loni se hâte de répondre que parfois, au contraire, « lorsque les dames ne sont pas tout à fait entre soi, » on désirerait que les séances durassent jusqu’au matin :