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« ou on le dégrade. Que dirait le public si l’on variait les vers de Racine ! Il sifflerait. La musique bien faite a autant de droits à l’estime du public que les beaux vers. » Ailleurs : « Je crois connaître la cause qui assujettit la musique, plus qu’aucun autre art, aux variations dont on l’accuse : c’est qu’elle est continuellement dans la dépendance de ceux qui l’exécutent., Un livre de science, de philosophie, un tableau, une statue, sont lus, examinés, jugés tranquillement par tout le monde, sans le besoin d’aucun secours étranger. En est-il de même des ouvrages dramatiques, de la musique surtout, qui a besoin indispensablement, pour paraître au jour, d’une quantité de talens réunis, qui modifient à leur manière ou altèrent le sentiment de l’auteur et le vrai sens de son ouvrage. Défendrez-vous à cette chanteuse de faire des roulades, des trilles, mille ornemens déplacés, etc. ? »

Et comment l’obligerez-vous, cette même chanteuse, ou quelque autre, à chanter en mesure, ou, comme disait Grétry, « de mesure ? » Écoutez plutôt ce dialogue :

« L’actrice (sur le théâtre). — Que veut donc dire ceci, monsieur ? Il y a, je crois, de la rébellion dans votre orchestre.

« Le batteur de mesure (dans l’orchestre). — Comment, mademoiselle, de la rébellion ? Nous sommes tous ici pour le service du Roi, et nous le servons avec zèle.

« L’actrice. — Je voudrais le servir de même, mais votre orchestre m’interloque et m’empêche de chanter.

« Le batteur de mesure. — Cependant, mademoiselle, nous allons de mesure.

« L’actrice. — De mesure ! Quelle bête est-ce là ? Suivez-moi, monsieur, et sachez que votre symphonie est la très humble servante de l’actrice qui récite.

« Le batteur de mesure. — Quand vous récitez, je vous suis, mademoiselle ; mais vous chantez un air mesuré, très mesuré.

« L’actrice. — Allons, laissons toutes ces folies, et suivez-moi. »

On croirait une page détachée du fameux pamphlet de Marcello : Le Théâtre à la mode. Il y a des modes, au théâtre, qui ne changent jamais. Et Grétry, qui prévoyait tant de choses, pensait déjà ce que, longtemps après lui, Gounod devait dire : « Il suffit d’un interprète pour calomnier un chef-d’œuvre. »