l’offensive, et non sur la défensive, non pas chez lui, mais en pays hostile. Sans doute le plus riche grenier à blé de l’Europe est une proie tentante, après les déceptions de Craïova et de Braïla. Mais c’est le royaume des ombres; et, d’ailleurs, la route d’Odessa ne conduit en Russie, nulle part, qu’à Odessa. Derrière, il y a encore une Russie, encore l’espace, du vide à étreindre par-dessus le vide; encore du temps à gagner ou à perdre pour saisir l’insaisissable et briser l’inarticulé. Ce qui fait la Russie finalement invincible, c’est qu’elle n’a pas de centre, et qu’il y a, sous un seul Tsar, plusieurs Russies. Autant partir pour la conquête des sept cercles de l’Enfer. Commencer une expédition de Russie est plus aisé que de la finir.
Les Allemands le savent. Pour venir à bout de l’Empire moscovite, ils ne comptent plus sérieusement sur la guerre. Peut-être serait-il excessif d’écrire qu’ils comptent de préférence, ou qu’ils ont compté, pendant un moment, sur la révolution. Les mêmes raisons qui sauvent la Russie du désastre, son immensité, sa dispersion dans l’espace, sa constitution en quelque sorte diffuse, la sauvent aussi des révolutions. Une révolution n’est guère possible que là où le pouvoir est concentré. Les révolutions elles-mêmes obéissent à des lois, ont leurs conditions non seulement psychologiques et historiques, mais géographiques. La science allemande, qui se pique d’avoir tout approfondi, n’ignore pas cette vérité élémentaire. Mais l’Allemagne officielle et l’Allemagne officieuse, à tous les degrés, ont manifestement espéré beaucoup du désordre, ou, si l’on le veut, non sans exagération, de l’anarchie latente, inévitables dans un État immense, — il faut répéter l’épithète, — dont chaque province* elle-même très vaste, est à elle seule un État; plus artificiel qu’organique; peu hé par un système de circulation insuffisant ; uni, il est vrai, dans la double personne d’un souverain omnipotent, père et maître de ses sujets, à la fois Pape et Empereur, chef religieux et politique tout à la fois ; peuple inquiet, rêveur, imaginatif, idéologue, relativement jeune, et, comme tel, en mue, en pleine crise de croissance, en voie de transformation, et, au surplus, de longtemps agité par les sectes. Joignez à ces causes de faiblesse, qui tiennent à la structure interne de la société, de la nation et de l’État, — bien plus, au caractère même, à l’esprit même, à l’âme même de la race, — joignez-y des causes de dépression et de division plus immédiates ou plus directes dans le grand conflit qui se débat présentement : tant d’Allemands aborigènes ou importés, Russes natifs des pays baltiques, Allemands plus ou moins fraîchement naturalisés Russes, avec tant d’aboutissemens dans les