le droit d’être nous : plus d’une fois, l’influence du dehors a été libératrice. Un jour, la latinité nous débarrasse de l’italianisme ; un autre jour, l’Angleterre nous aide à rejeter le poncif gréco-romain. Mais parfois aussi, l’une ou l’autre des nations cultivées nous a délivrés de nous-mêmes. Il arrive que l’on emploie les chefs-d’œuvre du génie à paralyser le génie. On ne songe pas que Corneille et Racine ont fait, comme Flaubert, « ce qu’ils ont voulu : » et l’on condamne ceux qui viendront après eux, à faire, non pas comme eux, ce qu’ils veulent, mais d’après eux, qu’ils veuillent ou ne veuillent pas. On ne trouve de pièces « bien faites » que celles qui sont jetées dans les moules d’Augier ou de Dumas fils, si ce n’est pas dans ceux de Scribe et de Sardou. Il ne s’agit pas de ressembler à la vie ni d’exprimer une vue personnelle de la vie ; il s’agit de ne pas s’écarter des modèles. Alors celui qui a quelque chose à dire, celui qui conçoit une idée, ou sent une beauté, dont la technique ne veut pas, s’insurge, tantôt au nom de Shakspeare, tantôt au nom d’Ibsen, aujourd’hui pour un idéal anglais, demain pour un idéal Scandinave : en réalité toujours pour lui-même, pour l’idéal intime et personnel de sa nature poétique.
Il arrive aussi que la société française a changé d’esprit, qu’elle a acquis de nouveaux sentimens, des manières nouvelles de réagir aux conditions éternelles de la destinée humaine ou aux conditions modifiées de l’existence nationale. Cependant, les littérateurs ne se troublent pas pour si peu dans leur tranquille petite industrie, et ils continuent de fournir les mêmes produits à un public qui n’est plus le même. Ce public, alors, se détourne d’un art qui était fait pour ses arrière-grands-pères, et va demander à des œuvres étrangères les idées, les émotions, la beauté poétique qui correspondent aux aspirations secrètes du temps présent. On se tourne vers Ossian parce qu’on a Bernis, on se tourne vers Byron parce qu’on a Parny. L’imitation est un moyen de s’affranchir. Il y avait trois quarts de siècle que les âmes françaises étaient gonflées de sentimens romantiques, quand le romantisme du Cénacle, en ayant l’air de sacrifier la tradition classique à un goût malsain de bizarreries exotiques, a tout simplement brisé des formes surannées, refondu une langue figée, et réadapté la littérature française à la vie française. Lamartine et Musset ont écrit la poésie que Mlle de Lespinasse, de toute la passion orageuse de son cœur