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voulue la Prusse. François-Joseph a mordu à l’appât ; il a mis la main dans l’engrenage balkanique sans s’apercevoir qu’il s’est placé, par-là même, à la discrétion de l’Allemagne, sans comprendre que, pour l’Autriche, expansion au Sud égale péril au Nord. Du développement de cette situation la guerre actuelle est sortie.

Pour maintenir et accroître « l’état » de sa maison, comme l’avaient fait ses pères, François-Joseph a renoncé à un rôle moins périlleux pour lui et pour ses voisins. Une Autriche assez forte pour imposer le respect, pratiquant une politique de justice nationale et de consolidation interne, tendant à unir plutôt qu’à diviser, aurait poursuivi en paix la lente évolution qui la portait vers un régime plus démocratique, moins bureaucratique et moins féodal ; elle n’aurait porté ombrage à personne et elle serait devenue, par sa sagesse autant que par sa situation géographique centrale, un élément de stabilisation et de pacification en Europe. Elle aurait trouvé ainsi la plus noble des revanches sur ses voisins du Nord dont la guerre a toujours été « l’industrie nationale. » Au contraire, une politique d’expansion dans les Balkans devait nécessairement la mettre en conflit avec la Russie et à la remorque de l’Allemagne ; elle devait faire d’elle une menace pour la paix européenne. « La méthode bismarckienne, écrivions-nous ici même en 1913, n’est pas faite pour les Habsbourg ; une politique de force serait néfaste à un État qui n’est qu’un État et non pas une nation[1]. » La méthode bismarckienne a prévalu en Autriche avec le comte d’Æhrenthal et le comte Tisza. Le conflit a éclaté à propos de la question serbe dont l’annexion de la Bosnie ne fut qu’une phase.

Il est facile d’imaginer, d’après ce que nous avons dit, quels pouvaient être les sentimens de François-Joseph à l’égard de la Serbie. Il était très mal renseigné sur le pays et sur ses habitans ; les Serbes n’ayant pas de noblesse, il n’avait sans doute jamais eu l’occasion de s’entretenir avec un Serbe. Il savait que, parmi ses titres, qu’énumère le protocole, se trouve

  1. Voyez la Revue du 1er février 1913 : L’Autriche et la guerre balkanique. Cet article, qui paraît bien modéré quand on le relit aujourd’hui, nous valut plusieurs lettres d’injures et, au regretté Francis Charmes, de la part d’un officier autrichien, une provocation en duel qui l’amusa fort, mais où il discerna cependant un signe des temps.