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lumière de Kant qu’il va falloir interpréter la note et le message de M. Wilson.


Dans son traité De la Paix perpétuelle[1], écrit en 1795, Kant a rassemblé ses théories philosophiques sur la nature des États, et la possibilité d’établir entre eux une concorde durable. Il pose, dès l’abord, le principe primordial de la liberté des hommes. Sans doute, dans l’état de nature, cette liberté produit des désastres ; elle engendre la guerre privée perpétuelle qui risquerait d’exterminer l’espèce humaine si le droit naturel n’intervenait pour obliger l’homme à sortir de son état sauvage, le courber sous une discipline sociale, et réunir les individus sporadiques et indépendans en un État. Un contrat primitif, analogue au Contrat social de Rousseau, les lie entre eux et détermine leur subordination au souverain. Grâce, à ce contrat, la guerre perpétuelle fait place à la paix perpétuelle entre citoyens. Mais le problème de la paix mondiale n’est pas par-là même résolu ; des rapports nouveaux apparaissent ; les États entre eux vivent comme les hommes entre eux dans l’état de nature : c’est la guerre publique. Cette guerre, il est vrai, ne sera pas continuelle, car des palliatifs sont possibles ; on conclura des alliances et des trêves ; mais les unes engendreront des guerres nouvelles, les autres, par leur nature même, ne peuvent être que passagères ; le droit international ne suffit pas, en effet, pour assurer la paix entre États, puisque aucune autorité supérieure ne le sanctionne ; il faut en plus une libre fédération des peuples dont le rôle sera défini plus loin.

La nature exige que les États soient libres, ou, pour parler plus exactement, indépendans. Ils doivent demeurer tels, sous peine de cesser d’être ; les États ne peuvent rien abdiquer de leur indépendance sans aliéner leur existence propre en tant qu’États. La guerre, conséquence de l’indépendance des États est donc fatale, et pourtant les hommes ont le devoir de mettre un terme à cette fatalité, non parce qu’une contrainte extérieure l’interdit (il ne peut y avoir de contrainte juridique d’État à État), mais parce que la Raison la condamne. La violence

  1. Les pages indiquées aux références sont celles du tome VIII de l’édition allemande des œuvres de Kant publiées par l’Académie des Sciences de Berlin (Berlin, 1912).