Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

littéraire, spécialement pour le drame biblique et pour la tragédie sacrée. Leurs élèves, tout naturellement, pour peu qu’ils eussent quelques dispositions, s’exerçaient volontiers à ce divertissement d’esprit ; il en résulta parfois des œuvres plus profanes. C’est des mains des jésuites que sortirent la plupart des dramaturges du XVIIIe siècle ; je citerai notamment Crébillon, Voltaire et Gresset. Dancourt ne fera pas exception à la règle. La vocation chez lui s’était révélée de bonne heure, s’il est vrai, comme on dit, qu’il ait composé à treize ans une tragédie en vers dont le héros était Melchisédec, et qui valut au jeune auteur les éloges des révérends Pères.

Quoi qu’il en soit, il est certain que, dès cet âge, on fonda sur lui, au collège, les plus belles espérances et que ses maîtres désirèrent l’engager dans leur ordre. Mais toutes les tentatives échouèrent. L’élève était laborieux et docile, brillait dans les humanités, mais ne montrait aucun penchant pour le froc. Un vif goût du plaisir et l’appel d’une nature fougueuse l’éloignèrent invinciblement de l’état monacal au sortir du collège. Il songea un moment à la carrière des armes ; puis il changea d’idée, s’appliqua à l’étude du droit, se fit recevoir avocat. La chaleur, la facilité de son élocution lui promettaient un prompt succès, et sa famille se réjouissait déjà à l’idée d’un brillant avenir au barreau parisien ; quand l’amour vint, qui changea tout.

Florent Dancourt avait quelque fortune. Avec la jeunesse dorée de l’époque, il courait les bals, les brelans, hantait les compagnies légères ; on le voyait assez souvent au Temple, dans la société des Vendôme, ou tout au moins du Grand Prieur, et ce seul trait suffit à faire juger de sa manière de vivre. Il fréquentait également les théâtres, tantôt sur les chaises du parterre, tantôt dans l’intimité des coulisses. Ce fut ainsi qu’il rencontra, dans l’hiver de l’an 1680, aux représentations de l’Hôtel de Bourgogne, Thérèse Le Noir, une des jeunes étoiles de la troupe, qui lui tourna la tête, au point de sacrifier à cette ardente passion sa carrière, sa situation mondaine, son milieu familial.

Cette petite comédienne était, tout comme Dancourt, de lignée aristocratique ; et l’histoire de ses origines n’est pas dépourvue d’intérêt. Son père, « François Le Noir, écuyer, seigneur de La Thorillière » (ainsi s’exprime son acte de mariage), né à Paris en 1626, était bon gentilhomme, « portant