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étrangère, un gouvernement militaire, qu’elle a conquis et perdu des places, bâti des forteresses et forgé des armes, puis que le cimeterre ayant été finalement plus fort que l’épée, les principautés franques de Syrie, sans assises sérieuses, ont croulé les unes après les autres, ne laissant d’autres souvenirs que celui d’une brillante épopée. Et nos manuels sont certes excusables ; car si je consulte ceux qui se sont penchés sur cette histoire, il semble qu’ils n’aient aperçu que les vices d’un système mal bâti, disent-ils, et condamné dès sa naissance à une existence éphémère. L’énigme subsiste.

Elle s’éclaire si, au contraire, j’ouvre les livres des spécialistes de l’archéologie, de la numismatique, de l’histoire économique tels que le baron Key, le marquis de Vogüé, M. Gustave Schlumberger, M. Enlart, M. Heyd, si surtout je consulte les documens contemporains des princes qui régnèrent en Syrie ; car je m’aperçois qu’ils y ont fait régner avec eux des institutions et des coutumes qui en valaient bien d’autres, une civilisation très originale, fruit d’une alliance singulière de l’Occident féodal et de l’Orient patriarcal et qui parut assez féconde pour que, sur le modèle qu’offrait le royaume franc de Syrie, d’autres colonies chrétiennes se soient organisées de l’Arménie à la Grèce, de Chypre à Rhodes[1].

Si le royaume de Jérusalem, en effet, n’a vécu que deux siècles à peine, il s’est survécu à lui-même dans ses filiales. C’est des premiers jours du XIIe siècle aux derniers du XVe, que, dans tout le bassin oriental de la Méditerranée, ont régné des princes issus de dix de nos provinces : Lorraine, Flandre, Poitou, Normandie, Champagne, Languedoc, etc. De Chypre où M. Enlart a relevé partout les restes d’une magnifique civilisation française à l’Hellade où, dernièrement, un illustre pèlerin,

  1. Outre le magnifique Recueil des Historiens des Croisades (latins, grecs et arabes) que j’ai beaucoup exploité pour l’établissement d’une thèse sur les Colonies de Terre Sainte restée manuscrite, j’ai consulté avec fruit pour cette étude : Beugnot, Mémoire sur le régime des terres dans les principautés franques (Bibl. de l’École des Chartes, 3e série, t. XV). — Dodu, Les Institutions monarchiques du royaume de Jérusalem, 1894. — Du Cange, Les Familles d’Outre-Mer, publiées par Rey, 1876. — Enlart, L’Art gothique à Chypre, 1895. — Heyd, Histoire du Commerce du Levant, 1879. — Mas Latrie, Histoire de l’île de Chypre 1852. — Rey, Les Colonies franques de Syrie, 1882. — L’Architecture militaire des Croisés, 1887. — Rôhricht, Regesla regni Hierosolytani, Innsbrück, 1893. — Schlumberger, Numismatique de l’Orient latin, 1889. — Les principautés franques d’Orient, (Revue des Deux Mondes, 1876). — La Prise de Saint-Jean d’Acre (ibid. 15 juillet 1913). — Vogüé (Marquis de), Les Églises de la Terre Sainte, 1859.