Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvait un buisson d’épines si haut et si touffu qu’il paraissait malaisé de s’approcher de l’arbre et d’en cueillir les fruits. Un peu plus loin, s’élevait une petite colline couverte de blés qui déjà blanchissaient pour la moisson et qui étaient fort beaux d’aspect, mais dont les épis vides tombaient en poussière entre les mains, dès qu’on les touchait. Puis elle vit une foule de gens, qui passaient en cet endroit, s’arrêter devant l’arbre, considérer les fruits avec envie et tenter de les atteindre, mais les épines les blessaient et ils renonçaient promptement à franchir la haie ; alors, tournant leurs regards vers la colline couverte de moissons, ils s’élançaient dans cette direction et se nourrissaient du mauvais blé qui les rendait malades et les privait de leurs forces. Et d’autres venaient encore, qui avaient plus de courage que les premiers : ceux-là franchissaient la haie, mais en approchant de l’arbre, ils s’apercevaient que les fruits pendaient très haut et que le tronc était lisse et d’un accès difficile, et eux aussi continuaient leur route pour aller se nourrir du blé décevant qui les affamait davantage encore. Finalement il en survint quelques-uns qui, se décidant à traverser le fourré d’épines et à monter dans l’arbre, cueillirent des fruits et les mangèrent, ce qui les fortifia de telle sorte dans leur âme, qu’ensuite ils éprouvaient du dégoût pour toute autre nourriture.

« Catherine, écrit Caffarini, fut saisie d’étonnement à la pensée que tant d’hommes fussent assez sots et assez aveugles pour aimer et suivre le monde trompeur plutôt que de se livrer à Jésus-Christ qui nous invite et nous appelle et qui, dès l’exil, console et réjouit ses serviteurs. Car cet arbre, elle l’avait bien compris, représentait le Verbe éternel incarné, dont les fruits délicieux sont toutes les vertus, tandis que la colline, qui ne produit pas de bon blé, mais de l’ivraie, représente les champs dorés du monde que l’on cultive en vain avec effort. Ceux qui s’éloignent de l’arbre dès que les épines se font sentir sont tous ceux qui se prétendent incapables de mener une vie pieuse et y renoncent dès l’abord. Ceux qui leur succèdent et se laissent effrayer par la hauteur de l’arbre sont ceux qui entreprennent avec énergie et bonne volonté l’œuvre de leur sanctification, mais qui se découragent et manquent de persévérance. Les derniers venus sont les vrais croyans qui sont affermis dans la vérité. »