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côté, à la grande Mer. En revanche, la conquête de ce rempart donnait à la Croisade toute sa signification. Des ports creusés dans la corniche méditerranéenne, Alexandrette, Latakié, Tripoli, Beyrouth, Tyr, Haïffa, Naplouse, Jaffa, Gaza, l’accès est interdit par quiconque a mis la main sur le double rempart syrien ; la Chrétienté, en en reprenant possession, barrait, momentanément, la route de l’Occident à l’Islam. La Syrie serait un glacis de la Chrétienté.

Mais l’Islam ne pouvait, ne devait pas se résigner à une telle aventure ; il devait incessamment tenter de forcer la barrière que, par ailleurs, il essaierait de tourner par le Sud. Devant ces essais de reprise, — prévus dès les premières heures de la conquête, — il fallait fortifier encore cette barrière naturelle, à l’abri de laquelle les marchands chrétiens utiliseraient les ports de la corniche : d’où l’édification de tant de châteaux formidables dont nous parlerons tout à l’heure, et lui assurer une défense : d’où les efforts (souvent infructueux) des princes pour constituer une armée permanente ; il fallait ne jamais cesser d’en surveiller les portes, les glacis, les fossés, les abords : d’où la fondation d’une colonie guerrière. L’histoire de la Croisade et la géographie de la Syrie imposaient aux « Francs » un régime qui, par ailleurs, se devait inspirer des institutions d’Occident alors essentiellement militaires.


UNE RÉPUBLIQUE FÉODALE

Plus qu’aucune autre loi, celle même qui organisait proprement le gouvernement devait se ressentir de telles préoccupations.

L’armée croisée sentit d’instinct que le Roi, — puisque le titre s’était, après un an, imposé, — devait être purement et simplement le « chief seigneur, » le généralissime. C’est l’idée qui ressort du récit des premiers chroniqueurs comme du texte des lois primitives. Sauf les pouvoirs militaires, les « électeurs » de Godefroy de Bouillon étaient fort peu disposés à accorder au « chief » les prérogatives de la monarchie personnelle.

C’étaient, ces électeurs, des féodaux. Par la loi qu’ils entendaient imposer au chef seigneur s’allaient formuler et concrétiser les aspirations de la féodalité occidentale. C’est ce qui