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ignorait les raffinemens de la volupté comme les séductions du luxe et, s’il connaissait l’âpre joie de dominer, il ne savait pas le plaisir de vivre. C’est l’envers d’une âme, par ailleurs, magnifique de vaillance et d’audace. Cette âme semble, comme son armure, rigide, lourde, sombre, mais forte.

Or, le voici en face du chatoyant Orient. En cette Syrie composite il rencontre précisément des visages fort différens certes les uns des autres, mais qu’au premier moment il serait porté à confondre d’un mot : des mécréans.

Ce pays a gardé une partie de sa population primitive, les descendans très lointains d’Ismaël, qu’Israël a eu tant de mal à dominer dans la terre de Chanaan. Là-dessus s’est étendue la couche juive, ces fils de Jacob, retenus ou ramenés autour de Sion par un douloureux amour.

Les Phéniciens, cependant, peuplent toujours, d’Alexandrette à Saint-Jean d’Acre, le littoral septentrional. Et dans le Liban une autre population syrienne autochtone habite : Maronites et Jacobites, chrétiens plus ou moins hétérogènes, tandis que l’on voit se mêler à ces tribus des Arméniens venus du Nord-Est. Sur tout ce monde, le Grec a prévalu. Il s’est glissé en ce pays et il y a même régné lorsque, de Constantinople, rayonnait sur tout l’Orient méditerranéen l’éclat des noms d’Héracléos et de Justinien.

Enfin, il y a l’Islam : les Arabes n’ont pas seulement conquis ce pays, ils l’ont, pendant trois siècles, pénétré de cette civilisation, méconnue de l’Occident, mais si activement entreprenante que, de Bagdad à Cordoue, de Brousse à Palerme, elle a partout laissé une trace ineffaçable. Parce que, d’Antioche à Jérusalem, les princes musulmans ont été dépossédés, la population mahométane, fabricans et savans, artistes et artisans, cultivateurs et commerçans, n’a point disparu. Elle subissait plus qu’elle ne les aimait ses émirs, chefs guerriers imposés par la force souvent, parfois différens de sang et de secte des trois quarts de leurs sujets musulmans. Ces musulmans sont restés attachés, ceux-ci à leurs ateliers, ceux-là à leurs écoles, d’autres à leurs sillons et, utiles, précieux, nécessaires, ils s’imposent. Ce qui d’ailleurs fait leur force, c’est que cette Syrie, conquise par la Croix, est enserrée, et, — s’il s’agit de certaines de ses parties, — pénétrée par le monde musulman indompté. Si Bagdad et le Caire ne sont pas si loin qu’ils ne restent menaçans, que dire d’Alep et de