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lansquenets. Ils avaient échoué contre la barrière opposée à l’invasion germanique par l’héroïsme de nos soldats dans les défilés de la forêt d’Argonne. Mais, en 1871, nos éternels ennemis ont pris toutes les précautions utiles à leurs mauvais desseins. De sorte que la ville de Saint-Dié se trouvait exposée, en première ligne, à tous les risquer, d’une soudaine agression, prévue par les signataires allemands de ce fatal traité qui, en traçant la ligne de démarcation au-dessus de la ferme du Frenois, sur la crête des Vosges, fort escarpées en cet endroit, s’étaient réservé, par une malice calculée, le canton de Saales, c’est-à-dire, selon l’expression cynique de Bismarck, une des « clefs de notre maison. » Ces positions étaient impossibles à défendre contre les masses allemandes qui affluaient par les routes de Strasbourg et de Schlestadt. À cette poussée formidable s’opposa, jusqu’à l’épuisement des forces humaines, sur un terrain âprement disputé, l’indomptable énergie des chasseurs alpins et de leurs dignes compagnons d’armes. On verra comment les efforts de ces braves gens, incapables de désespoir dans une situation qui semblait désespérée, ont réussi, en somme, à enrayer le mouvement de l’ennemi, à le retenir, par une vigoureuse contre-attaque, aux abords de la Meurthe et de la Mortagne, à lui fermer le chemin de la Moselle et de la trouée de Charmes, à faire échouer les plans du grand état-major de Berlin[1]. Si l’armée du général von Heeringen, si les Bavarois du kronprinz Rupprecht, si les Wurtembergeois de Knœrzer et les Badois de Stenger avaient pu aller plus loin, s’ils avaient franchi la Meurthe, la Mortagne, et la Moselle, la route d’Epinal à Paris était ouverte aux armées du kaiser, la victoire de la Marne était impossible.

La bataille de Saint-Dié fut un des plus mémorables épisodes de cette longue lutte, multiple en ses aspects, tragédie pleine de sang, de larmes et de ruines où, très souvent, les populations civiles et inoffensives ont subi des souffrances atroces. Les bataillons de chasseurs, en combattant sur la Meurthe et sur la Mortagne, en barrant avec des poitrines humaines le passage ouvert par l’interruption de nos forts d’arrêt entre Epinal et Toul, ont fermé aux Allemands, venus de l’Est, la route de Paris. Les faits d’armes, accomplis en

  1. Voyez, dans la Revue des 15 novembre 1916 et 15 février 1917, les lumineux articles de M. Gabriel Hanotaux sur la Bataille de la trouée de Charmes et la Bataille des Ardennes.