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pas par-là qu’entrèrent les alpins venus pour combattre. La gare des voyageurs étant déjà encombrée par l’exode des civils et par l’évacuation des blessés, le 51e bataillon mit pied à terre dans la gare des marchandises, tandis qu’un taube survolait, comme un oiseau sinistre, la ligne et les bâtimens du chemin de fer. Les compagnies défilèrent en formation de marche, l’arme à la bretelle, par l’entrée qui fait face à la fonderie Burlin, suivirent à gauche la rue du Petit-Saint-Dié, franchissant la voie ferrée par la rue de Foucharupt, et gagnèrent la rue de la Bolle. A la hauteur de la rue du Parc, les alpins firent halte. On imagine aisément l’accueil qui fut fait dans cette ville aux alpins de la Savoie, en ce moment tragique où un terrible choc en retour, succédant à la vive entrée des Français en Lorraine et en Alsace, faisait peser sur la frontière mutilée, ouverte de toutes parts, une masse innombrable d’ennemis déchaînés par un furieux mouvement d’offensive, décidés à mener la guerre avec une férocité proportionnée à leur ferme propos d’en finir au plus vite, per fas et nefas. Le tonnerre, d’abord lointain, des canons allemands se rapprochait, d’heure en heure, avec une implacable rapidité. Les coups sourds des batteries lourdes étaient répercutés par les échos des montagnes, comme un formidable présage du bombardement prochain. Une douloureuse angoisse, succédant à l’allégresse des premiers jours, étreignait tous les cœurs. Cependant, lorsqu’on vit s’avancer, au-delà du pont de la Meurthe, entre les deux rangées de façades monumentales que la ville de Saint-Dié doit à la munificence du roi Stanislas, ce beau bataillon, si bien équipé, armé, entraîné, un renouveau d’espoir et de confiance ranima tous les courages. Pendant les heures brèves du cantonnement, la population eut la joie de fraterniser avec la troupe. Les alpins du 51e furent accueillis comme des libérateurs.

La ville de Saint-Dié, dominée par un amphithéâtre de hautes montagnes que drape un épais manteau de forêts sombres, se sentait entourée d’une sorte de menace mystérieuse, sous l’œil des Barbares cachés dans l’ombre des sapinières de l’Ormont, et s’avançant tout le long de la ligne bleue des Vosges. Elle fit fête à ses défenseurs qui, pendant les instans de cette brève halle, furent comblés d’attentions par les habitans. En rejoignant, à travers les rues déjà dépeuplées par un commencement d’exode, les bâtimens des « Teintureries et