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« marmites » qui l’encadraient de tous côtés. Il ne consentit à se retirer que sur l’ordre formel de ses chefs[1].

Comme le chef de bataillon Dochamps restait encore sur un point très exposé, le sergent Maubert, déjà blessé, et le caporal-fourrier Chaumont lui demandèrent ce qu’il fallait faire.

— Partez, répondit-il, et rejoignez le bataillon.

Et, comme il restait immobile sur place, en vue de l’ennemi qui s’avançait à grands pas :

— Venez, mon commandant, dit le caporal, ne restez pas ici.

— Laissez-moi, répondit le brave et malheureux officier, je veux mourir ici.

A grand’peine, l’insistance respectueuse du sergent et du caporal arrachèrent de cette position dangereuse l’infortuné commandant, qui avait vu, pour ainsi dire, son bataillon se fondre sous ses yeux, et dont le désespoir, facile à comprendre, hélas ! était tragique.

Pendant ce temps, le 51e bataillon se reformait, tant bien que mal, avec le concours d’un commandant d’infanterie, sans liaison possible avec le haut commandement, dans cette ville qu’il avait traversée l’avant-veille, fanfare en tête, avec tous ses convois au complet, ses mulets bien harnachés, ses mitrailleuses toutes neuves. Aux alpins se joignent quelques fantassins, débris d’unités éparpillées par les combats de la veille. D’un commun accord, ces braves gens se préparent à défendre la ville rue par rue et maison par maison. La rue du Nord et la rue Saint-Charles, par où les Allemands doivent nécessairement arriver, sont barricadées. Mais que peut faire un si petit nombre d’hommes, au fond d’un entonnoir creusé par la vallée de la Meurthe, sous la pression d’une armée qui occupe les hauteurs avoisinantes, et qui, par une série de mouvemens concentriques, recommence sans cesse, selon l’habitude des Allemands, la manœuvre de Sedan ? C’est miracle que les vaillans alpins n’aient pas été tous cernés et faits prisonniers d’un seul coup.

  1. Témoignages du chasseur Décurninge, du chasseur Carroux, du muletier Paulmaz, ce dernier parlant en présence du capitaine Aweng, qui fut lui-même grièvement blessé à Sainte-Marguerite, le 26 août.