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nombreuse et bruyante, des voitures, des camions et des soldats… Mais quand on a dépassé la Préfecture, l’aspect de la ville change totalement…

C’est maintenant qu’au voyageur excédé de fausse modernité la vieille Salonique offre le plaisir de la flânerie et de l’aventure, dans ces ruelles presque villageoises dont l’inextricable lacis couvre la colline et se confond avec les débris crénelés des remparts. Je me plais à parcourir ces quartiers juifs et turcs, habités naguère par la riche bourgeoisie et qui sont abandonnés à une population plus modeste ou même, dans leur partie haute, à des familles de réfugiés. Je m’y égare toujours et ne sais retrouver mon chemin qu’en suivant la pente dont la déclivité me ramène forcément vers la ville basse et vers le port. Ces promenades-là ressemblent au voyage de la vie. On ne trouve pas toujours ce qu’on cherche, mais ce que le hasard met sous nos pas peut être plus beau que tous nos rêves. Mon ami P… se souviendra comme moi d’un certain dimanche où, par extraordinaire, il avait un peu de loisir, et où nous allions, de compagnie, vers une église dont il m’avait dit merveilles et que nous n’arrivions plus à découvrir, bien qu’elle fût toute proche. Un Génie malin semblait prendre plaisir à l’escamoter, cette église, et à faire surgir, comme dans un conte oriental, des apparences trompeuses : un cyprès en fuseau sur le ciel, un minaret pâle, une rue entre des jardins où P… croyait avoir passé. Mon ami ne montrait pas trop d’impatience. Il cédait au Génie qui, pour notre plaisir, multipliait les surprises, et nous arrêtait, saisis par le même charme, devant les cimetières musulmans et leurs stèles penchantes qu’on aperçoit, au coin d’une rue, derrière une grille, parmi les figuiers sauvages et les herbes folles. Ailleurs, le Génie nous entraînait dans une église à coupole, Sainte-Paraskevi, ou les Saints-Apôtres dont l’intérieur est comme une grotte d’ombre humide, où luisent vaguement l’émeraude et l’or de mosaïques effacées. Ce n’était pas l’église que nous cherchions, mais peu nous importait, puisqu’elle était ancienne et belle, riche d’inscriptions et de sculptures, et que nous y entendions parler l’âme des temps révolus et des choses mortes. L’âme tragique du présent y parlait plus haut encore, car ces églises de Salonique servent maintenant de logis à des centaines de pauvres gens, moins heureux que les réfugiés de Lembet. Ils vivent là, pêle-mêle,