Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/527

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du dessin, ont moins de relief que leur vaste auréole, massive et ciselée comme le plat où repose la tête du Baptiste. Elles offrent à l’adoration d’une foule absente des Jésus chétifs et sérieux, vêtus d’outremer et d’émeraude. Sur les petits panneaux, la cour des Anges, des Apôtres, des Prophètes et des Bienheureux s’aligne. Voici saint Elias et saint Démètre, sainte Hélène et sainte Catherine, saint Paul, saint Georges vainqueur du Dragon, et voici les deux saints Jean, parfois confondus en un personnage unique, long, chevelu, couvert de peaux de bêtes, qui porte une tête coupée et nimbée dans un bassin, et déploie, sur fond d’or, deux grandes ailes aquilines, nervées de feu et de pourpre obscure.

Les cierges, qui ont si longtemps brûlé devant ces icônes, ont enfumé les couleurs éclatantes, et pleuré sur le vernis embué de longues larmes de cire. Les antiphonaires sont sur les lutrins et il y a des missels intacts sur les bancs disloqués. Que peuvent bien penser nos soldats, ces paysans de France, que le flot de la guerre a poussés jusqu’ici, que peuvent-ils penser des figures étranges qui les contemplent, « bons dieux » macédoniens, si différens des tendres Vierges, des saints naïfs et bienveillans qu’on trouve dans nos sanctuaires campagnards ? Ils n’en pensent rien, probablement, sinon que ces images-là n’ont pas l’air très catholiques, qu’on ne peut pas leur raconter bien librement ses affaires de cœur et de conscience, mais qu’après tout, ce sont des « bons dieux, » qu’on ne doit pas offenser leur majesté solitaire, en qui résident des puissances de bénédiction ou de maléfice. Ils sont sacrés par toutes les prières qui sont montées vers eux, dans la crainte, le deuil ou l’amour.

Nous continuons notre course vers la muraille bleue des monts. On distingue très bien les ballons-saucisses, celui des Bulgares et le nôtre, qui surveillent l’étendue de la vallée et des lacs, et les contreforts des montagnes qui dominent nos premières lignes. Il est une heure après midi quand nous touchons au but. Encore un village détruit, encore des maisons crevées et disloquées. Quelques-unes tiennent, à peu près, sur leurs murs de terre, et c’est là que le colonel du *** s’est installé, avec ses zouaves et ses légionnaires. Un coup de téléphone lui a annoncé notre visite, et tout est prêt pour nous recevoir.

Ce colonel S…, — dont on m’avait parlé, à Salonique, comme d’un « personnage endiablé » plein d’entrain, de gai courage et