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contraire, n’est plus prompte à se saisir d’un fait et à en bien raisonner, car elle est aussi intelligente que prompte, et l’on ne la vit s’emporter à des excès que faute d’avoir été mise en face d’une idée claire.

Alors ce furent les temps héroïques. Paris, en quelques heures, s’enfonça dans le recueillement le plus profond. Toute l’activité de la ville se trouvait d’un seul coup suspendue : les départs pour l’armée avaient fait les passans plus rares ; les chevaux venaient d’être pris par la réquisition, les autobus envoyés aux armées et la circulation des tramways suspendue. Une paix provinciale enveloppait la cité, et l’absence de tous les bruits familiers faisait songer au silence de Venise. Les avenues et les rues, les jardins publics, les quais de la Seine semblaient une autre ville. Privés de toute nouvelle, le cœur disputé par l’anxiété et la confiance, l’esprit tourné vers l’inconnu, ces Parisiens, à qui leurs maisons et leur carrefours semblent à toute heure tenir société, trouvaient aux monumens des visages nouveaux, et de toutes ces impressions étranges, de tous ces menus étonnemens, ils composaient dans leur âme une émotion sublime.

Les soirées étaient plus belles encore. L’éclairage des rues avait été réduit des trois quarts, et c’étaient jours de grande lune. ; Une clarté inaltérable, sur cette intimité de deux millions d’âmes, répandait je ne sais quel rayon impérieux. La nuit n’était troublée que par le sifflet lointain et répété des convois qui emportaient à chaque départ un millier d’hommes, et c’étaient, ces cris pleins d’un adieu qui élargissait le silence, comme des pulsations régulières qui faisaient refluer vers le front des batailles le sang le plus pur de la France.

C’est sur ces entrefaites, le 28 août à 11 heures du soir, que le ministre de la Guerre publie le communiqué suivant : « La situation de notre front de la Somme aux Vosges est restée aujourd’hui ce qu’elle était hier. » Pour le coup, voilà un texte qui fait réfléchir les Parisiens. Certes, l’avertissement est rude. Mais ils en tiennent pour la franchise ; on les sent délivrés d’une incertitude qui leur était insupportable et ils sont reconnaissans à ceux qui les gouvernent de leur dire la vérité durement, population toujours prête, si on lui fait confiance, à collaborer avec l’autorité.

En même temps arrive à Paris la foule lamentable des