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Cependant, à mesure que les jours passent, les conditions de l’existence deviennent plus lourdes. Nous en trouvons une indication précise à la Section des Prisonniers de guerre de l’Hôtel de Ville. Le quart des demandes quotidiennes émane de soldats parisiens faits captifs en 1914 et auxquels leur famille a dû cesser de faire des envois. Que de muettes douleurs cette simple constatation fait deviner ! Que de courage dans le silence d’une population inébranlable !

Peu à peu les denrées nécessaires à la vie, mais surtout les plus nécessaires, ont atteint de tels prix que chaque matin les pauvres femmes du peuple désespèrent de passer la journée. Cependant on ne voit pas qu’elles renversent les étalages ni qu’elles disputent les marchands plus fort que de coutume. Le sucre est devenu rare : il faut attendre longtemps son tour pour en obtenir de quoi remplir le creux de la main. Elles gémissent, elles se résignent. Depuis deux ans l’activité des usines perpétue la disette du charbon. Cependant on n’entend point dire qu’un groupe de personnes se soit porté vers ces chantiers que la Municipalité a établis dans des quartiers populaires. Les misérables passent à côté de ces monceaux d’un combustible dont ils manquent, en disant : « C’est bien. » On ne vole même pas les palissades.

Lorsqu’un jour le Gouvernement décide qu’il y a lieu de restreindre la consommation du gaz, de toutes parts on s’inquiète, car il n’est pas de maison parisienne où cette mesure ne cause des embarras. Des milliers de réclamations sont adressées à l’Hôtel de Ville en quarante-huit heures. Qu’elles sont belles vraiment, toutes ces lettres, et significatives ! Pas une parole de colère, pas un mot injuste. Chacun y fait l’offre de sa bonne volonté, puis expose un cas douloureux. Elles contiennent toutes un acte de foi.

Ce n’est point seulement l’individu qui est appelé à consentir des sacrifices, ce sont des corporations entières. On interdit à de certains jours le commerce de la confiserie et de la pâtisserie. Soit : les intéressés déclarent aussitôt qu’ils se font un devoir d’accepter une mesure qui les prive de leurs ressources.

Une profession est éprouvée entre toutes, la boulangerie. L’absence du petit patron qui chauffe son four lui-même atout bouleversé dans le fournil : le bois de boulange, le charbon sont hors de prix et le pain est taxé. Cependant les boulangères qui