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est sentimental. S’il est vrai que l’on rencontre à de certains jours de l’année un grand concours de monde dans les cimetières, le souvenir que chaque famille vient y porter à ses morts témoigne bien au contraire d’une piété aussi constante que contenue où l’on peut saisir de nouveau le Parisien dans sa bonté morale. Si l’on veut dire qu’il s’émeut en hâte à la nouvelle d’un grand deuil ou d’une catastrophe, je crains bien qu’on n’ait pas aperçu l’empire qu’exerce sur lui la curiosité. Si l’on ajoute qu’il aime à aller le dimanche à la campagne, je réponds que c’est pour y chercher des joies d’enfant qui sont bien loin du romantisme. Çà et là sans doute perce en ses propos une jolie pointe de sentiment ; une vivacité de langage la corrige aussitôt, car il est en lui de se porter tout à la fois aux extrêmes pour ne jamais se laisser prendre, et l’on ne saurait, à vrai dire, le pénétrer qu’en faisant d’abord chez lui la plus grande part à l’intelligence.

Il me parait donc montrer fort heureusement la vive allure de l’esprit parisien, ce petit apprenti en cotte bleue qui, voyant passer un enterrement l’un des premiers jours du mois d’août 1914, ôte sa casquette et observe froidement : « En voilà un qui n’était pas curieux. » Il rapproche spontanément deux idées. Il dit sans attendre ce qu’on n’attend pas qu’il dise. Or, il parle au naturel cet enfant, attendu qu’il traîne sa petite voiture.

Cet esprit critique, soudain, subtil, qui se traduit par les mots impitoyables de la rue ou de l’établi, a été cause de toutes les méprises. Comme il ne ménage personne, on tient qu’il ne respecte rien. On le condamne parce qu’on n’est pas assez agile pour le suivre. Faute d’en saisir la moindre nuance, on commet la plus lourde erreur.

Ce n’est pas la satire d’un peuple toujours prêt à la révolte, car il n’en est pas de plus docile à subir les règlemens et les contraintes et la hardiesse de son esprit s’accorde aisément à la simplicité de sa conduite. Tandis que sa malice parait s’attaquer à tout, on ne regarde pas assez aux objets qu’elle évite. On ne soupçonne pas comme il est respectueux, et avec quel enjouement encore il effleure ce qu’il respecte. On ne le vit jamais dénigrer un bel ouvrage, ni bafouer une noble figure, et il est naïf le plus joliment du monde.

L’esprit parisien s’espace toujours dans une direction inattendue. Il déforme le mot ou la chose, pour suggérer, d’un