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quand il s’agissait d’obtenir des nouvelles du front ; des parens, sans nouvelle aucune de leurs fils, offraient dix, vingt francs et promettaient le double s’ils recevaient une réponse… Au fur et à mesure que l’étreinte se resserrait autour de notre capitale et que la sévérité allemande augmentait, — surtout quand le pays fut occupé tout entier, sans autre issue que notre frontière du Nord, de jour en jour plus étroitement surveillée, — les difficultés ne cessèrent de s’accroître. Les nouvelles de l’étranger nous arrivaient par des voies de fortune, et nous avions toujours une lettre prête, afin de la confier en guise de réponse au premier messager qui se présenterait.

Les moyens de fraude se multipliaient à l’infini, et chaque fois qu’ils étaient éventés, il fallait en trouver d’autres : billets glissés dans la doublure des vêtemens, dans les pneus des autos, dans les chignons des femmes, dans les œillères des chevaux, jusque dans le ventre des poissons importés de Hollande… (Dans ce cas, on les enserrait dans de petits tubes en caoutchouc.) Une de mes amies, partant clandestinement pour l’Angleterre, avait introduit un papier d’affaires important dans le dos d’une brosse à habit qu’elle avait recollé avec soin. Et j’ai vu, de mes yeux vu, tout un courrier de l’étranger venu à l’intérieur d’un pain !

Pour nous mettre en rapport avec ces courriers, nous devions nous rendre aux quatre coins de la ville et dans les endroits les plus bizarres, où nous n’aurions jamais songé à mettre les pieds en d’autres temps : tavernes, rues louches, quartiers sordides ! Mais qui eût songé à critiquer ? Les femmes d’officiers surtout, avides d’obtenir quelques détails du front, cherchaient à voir et à interroger les porteurs qui en revenaient. N’ayant guère le temps d’attendre aux nombreux domiciles où il avait apporté des lettres, l’un de ces aventureux courriers, qui risquait assurément sa vie à pareil métier, avait laissé son adresse : il fallait, pour lui remettre les réponses, se rendre chez lui, à tel jour et à telle heure, et, dans une misérable petite chambre garnie d’une rue impossible, une vingtaine de dames élégantes faisaient cercle comme dans le salon d’un ministre ! On disait que ces courriers militaires réussissaient à traverser les lignes de feu…

Un billet laconique, qui m’était adressé par un capitaine de nos amis, me fut apporté dans la semelle de la chaussure du