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dépit de toutes les poursuites et des vaines recherches d’une armée de policiers et d’espions ! Les primes les plus tentantes ont été offertes à qui dénoncerait rédacteurs ou imprimeurs, et de nombreuses arrestations ont été opérées pour le fait seul d’être détenteur de l’un de ses numéros. L’en-tête même du journal et sa manchette sont pleins d’ironie et semblent jeter un défi à l’autorité allemande ! — Le journal s’intitule « régulièrement irrégulier. » Comme adresse télégraphique, il indique « Kommandantur-Bruxelles — et sous la rubrique Bureaux et administration, nous lisons que « ne pouvant être un emplacement de tout repos, ils sont installés dans une cave automobile ! » — Quant au texte, il est toujours inspiré par le plus vibrant patriotisme, et certains articles sont de véritables chefs-d’œuvre d’éloquence. Le pamphlet y est manié de façon remarquable. L’humour parfois s’y glisse. Et toujours les sentimens d’honneur et de devoir y sont exaltés. La vaillante petite feuille soutient le moral de toute une nation ; elle s’applique à la réconforter et, passant de main en main, elle répand la bonne parole…

« Ecrivant à une heure tragique une page solennelle de notre histoire, nous l’avons voulue sincère et glorieuse, avait dit le cardinal Mercier dès Noël 1914. Et nous saurons, tant qu’il le faudra, faire preuve d’endurance. L’humble peuple nous donne l’exemple… lui surtout souffre des privations, du froid, peut-être de la faim… Il a de l’énergie dans sa souffrance. Il attend la revanche, il n’appelle point l’abdication. »

Cette résistance dans la classe ouvrière s’est traduite énergiquement, malgré la misère, les contraintes, les menaces et les punitions, par le refus de reprise du travail. Les nôtres pouvaient-ils consentir à travailler pour la guerre contre leur pays, ou même à rendre disponibles, pour les opérations militaires, les milliers d’ouvriers allemands occupés en Belgique ? A Luttre, cent quatre-vingt-dix ouvriers furent expédiés en Allemagne. A Malines, les ouvriers de l’arsenal, ayant refusé de réparer le matériel allemand fortement endommagé, la ville fut punie, isolée du reste du pays, pendant huit jours. Dans le pays de Liège, de nombreuses arrestations de chefs d’usines ont été opérées. A Lokeren, où on les réquisitionnait, à Lessines où les Allemands exigeaient la reprise du travail des maîtres carriers, sous prétexte que la pierre leur était indispensable pour