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ce qui fait d’eux les maîtres par excellence, de tous les pays comme de tous les temps.

De même qu’il est, ou plutôt parce qu’il est très français, M. Saint-Saëns est très classique, le classicisme (passez-nous ce terme inharmonieux), étant, sinon l’unique forme, au moins la forme la plus pure et la plus notre de notre génie.

Classici, les classiques, on appelait ainsi à Rome les citoyens de la première classe, de la plus riche, ceux qui possédaient un revenu supérieur à une somme déterminée. Sainte-Beuve nous apprend qu’Aulu-Gelle appliqua le terme à certains écrivains : « Un écrivain de valeur, et de marque, classicus assiduusque scriptor, — excusez tout ce latin, — un écrivain qui compte, qui a du bien au soleil et qui n’est pas confondu dans la foule des prolétaires. » En musique, il apparaît assez que M. Saint-Saëns figure au premier rang de ces écrivains-là. Nul ne possède au soleil, au clair soleil de France, un domaine plus vaste, plus riche et plus varié. Rien de la musique entière n’est étranger à ce musicien. Il a touché toutes les cordes de la lyre. Opéras, oratorios et cantates, poèmes symphoniques et symphonies, musique de chambre, de la sonate au concerto, je ne sais pas un genre où il n’ait excellé. Il règne sur toutes les provinces de l’immense empire des sons. Pour ceux-ci tantôt il a recherché, tantôt négligé le concours ou le secours du verbe. Samson et Dalila et la Symphonie en ut mineur, son chef-d’œuvre de musique en quelque sorte appliquée et son chef-d’œuvre de musique pure, se répondent et s’égalent ; mais de l’un à l’autre il a rempli : tout l’espace et, comme disait Pascal, tout l’entre-deux.

Il y a plus encore : pour nous, Français, le terme de « classique » implique toujours, dans la littérature et dans l’art, la présence de certaines qualités que les œuvres de notre grand siècle, — c’est le dix-septième que je veux dire, — ont possédées à un degré éminent : la clarté, la mesure et l’unité, l’ordre et l’équilibre, enfin, et en deux mots qui rassemblent tous les autres : l’intelligence et la raison.

Un admirable « compositeur. » On nommerait volontiers M. Saint-Saëns de ce nom, si le mot disait moins mal et moins pesamment ce qu’il veut dire, s’il ne semblait définir, au lieu du talent et de l’art, le travail et le métier. Mais comme il « compose, » le grand musicien de Samson et de la Symphonie en ut mineur, du Déluge et de la Lyre et la Harpe, du