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échappées, des concessions, bien plus par des aveux. Que pensez-vous de celui-ci : « La recherche de l’expression, pour légitime et inévitable qu’elle soit. » Et de cet autre : « Sébastien Bach et Mozart, ces deux grands expressifs. » Ailleurs encore : « Ne me dites pas que dans le Clavecin bien tempéré il y a des choses d’une sensibilité profonde, extrême. Je le sais aussi bien que vous. »

Nous n’en demandions pas tant. Et voici que le maître va nous donner encore davantage. En son volume Harmonie et Mélodie, il écrit, à propos de l’orage de la Symphonie Pastorale, et, plus précisément, de la note inattendue, étrange, par où cet orage commence : « Au point de vue de l’oreille et de la jouissance physique, au point de vue même de la froide raison, cette note est absurde, car elle détruit la tonalité et le développement logique du morceau.

« Et pourtant cette note est sublime. Elle ne s’adresse donc ni à l’oreille qui veut être caressée, ni à cette raison myope qui se repaît de phrases carrées comme une figure de géométrie. Il y a donc dans l’art des sons quelque chose qui traverse l’oreille comme un portique, la raison comme un vestibule, et qui va plus loin.

« Toute musique dépourvue de ce quelque chose est méprisable.

« Il ne s’agit plus de rechercher ce qui donne plus ou moins de plaisir à l’oreille, mais ce qui dilate le cœur, ce qui élève l’âme, ce qui éveille l’imagination en lui découvrant les horizons d’un monde inconnu et supérieur. »

L’imagination, l’âme, le cœur, autrement dit la sensibilité, l’expression, ce n’est pas d’autre chose qu’entend parler le musicien quand il prend ainsi la défense de la Polonaise-Fantaisie de Chopin : « Elle me semble, à moi, si touchante ! Découragement et désillusion, regrets de quitter la vie, pensées religieuses, espérance et confiance en l’immortalité, elle exprime tout cela sous une forme éloquente et captivante[1]. »

Elle « exprime, » dit-il. Ainsi le voilà reconnu, proclamé, le grand pouvoir, le don mystérieux de la musique. Et voici qu’à sa propre musique même le musicien, malgré lui peut-être, est contraint de l’accorder. Parlant de Phryné, il écrit à son collaborateur : « J’ai trouvé l’apparition : il y a là un mélange de

  1. Camille Saint-Saëns : Portraits et Souvenirs.