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choix. Elle doit s’engager plus audacieusement encore dans la voie des conquêtes. Malheureusement, comme devait le dire plus tard, en 1899, le géographe Kurt Hassert : « Lorsqu’on a fait le partage du monde, il n’existait pas encore une puissante Allemagne qui aurait pu dire son mot. Et lorsqu’il y eut une puissante Allemagne… le monde était presque complètement partagé. » Malgré cela, les novateurs qu’étaient Carl Peters, le comte Pfeil, Ernst von Weber, Friedrich Lange ne se tenaient point pour battus. L’un d’eux dont la physionomie tout imprégnée d’une âpre énergie n’était pas sans beauté, Carl Peters, après avoir fixé « les terres vacantes » où suivant lui devaient être plantées les couleurs allemandes, se chargea d’aller sur l’autre moitié du globe poser sa main conquérante. Et voilà pourquoi, un soir de l’automne 1883, trois jeunes hommes s’embarquaient à Trieste sur le Titania, vaisseau du Lloyd autrichien. Le paquebot passe sous les lueurs alternantes qui veillent à l’entrée du vieux port. Quelques semaines après, descendus à Zanzibar, Pfeil, Jühlke et Peters traversent, bientôt, le bras de mer qui les sépare encore du grand continent noir.

Le 23 février 1884, un petit télégraphiste montait au troisième étage d’une modeste maison de Berlin et demandait « herr Friedrich Lange. » Celui-ci ouvre la dépêche qui lui est remise, s’approche d’une table et à l’aide d’un alphabet conventionnel traduit le message. A l’insu de ses hommes d’État et peut-être même contre leur volonté, l’Empire allemand venait de conquérir outre-mer une possession immense. La région de l’Ousangara passait sous protectorat germanique en principe et en fait. Avec l’accroissement de ce premier noyau territorial vint aussi la ratification internationale de ce joli coup d’audace. Au début, quelques vagues écrits portant la signature de chefs nègres. Pour conclusion, le Portugal, la Belgique, l’Angleterre surtout, de 1904 à 1910, par une suite d’accords, laissaient les Hohenzollern maîtres de la partie principale de la haute plaine d’Afrique qui ondule d’Abyssinie au Tafelberg et nourrit dix millions d’habitans.

Une charte impériale fut consentie par Bismarck qui ne l’accorda d’ailleurs point « sans grogner » et l’entreprise eut ainsi façade respectable. En 1885, le domaine changeait de mains, sans cesser d’être allemand : la « Compagnie de l’Est Africain » rachetait le tout aux premiers détenteurs pour