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« Quen ! quen ! quen ! » fait le père. Et de quoi est-elle morte ? Du ventre. Gasselin lui avait donné une claque et puis un coup de pied dans le ventre : jamais il n’aurait cru qu’un simple coup de pied dans le ventre, « comme ça, en jouant, pas fâché, ça pouvait crever une femme. » — « Quen ? quen ? fait le maître Poivret : voyez-vous ça ! » Ils boivent et, après cela, jugent convenable d’aller voir la morte. « All’est ben morte ! dit le père ; all’ est fraide ! mâtin qu’all’ est fraide ! — Et jaune ! et jaune !… » ajoute le mari. Et, sur la date de l’enterrement, ils causent. « Samedi, c’est l’marché ! J’peux pourtant pas laisser gâter ma viande… » Les deux hommes sont embarrassés… Et, par hypocrisie, j’en passe… « Si j’reprenions une autre bouteille… » C’est la conclusion provisoire du maître Poivret. Et, faute d’hypocrisie ou par un singulier scrupule de hardiesse, Mirbeau a poussé l’anecdote jusqu’à la rendre monstrueuse, jusqu’au point où ses personnages échappent, non pas seulement à notre amitié, mais à notre intelligence. Ce ne sont plus des hommes ; ce ne sont pas exactement des bêtes : — ce sont des brutes, mais inventées à plaisir.

Il y a beaucoup de ces brutes, dans l’œuvre de Mirbeau : les paysans, et aussi les bourgeois, et les nobles évidemment : n’oublions pas, certes, le clergé ! Son abbé Jules, une figure extraordinaire. Antipathique ? Sans doute ; et séduisante cependant, par quelques traits de sa physionomie farouche et fière, et cocasse. Mirbeau ne méprise pas l’abbé Jules. Je crois qu’il l’aime et nous invite à l’aimer. C’est que l’abbé Jules, tel que le voilà, nie Dieu et le diable, se moque de l’évêque, se rit de la morale, se joue de l’opinion publique et mène, en ce monde, grand train de révolté. Il est un révolté ; il est le révolté ; il est la révolte. Allons ; pas de timidité. Ce héros de la désobéissance, Mirbeau le munit d’un tempérament fort, allume en lui toutes les concupiscences de la chair et de l’esprit, le jette dans l’hérésie et dans le sacrilège. Sa digne mère se méfie et ne sait pas s’il ne serait, sous la soutane empruntée, l’Antéchrist. L’abbé Jules, vieux et qui porte encore les sacremens aux moribonds, s’est fait un évangile qui réduit « au strict nécessaire » l’indiscutable vérité « 1° L’homme est une bête méchante et stupide ; 2° La justice est une infamie ; 3° L’amour est une cochonnerie ; 4° Dieu est une chimère… » Et il enseigne les quatre points de cet évangile à un jeune gamin, son neveu. Par testament, il lègue sa fortune, assez jolie, au premier prêtre qui, pour l’avoir, se défroquera. Et, à l’article de la mort, il est lubrique au-delà de toute imagination. C’est trop !… Le petit Sébastien Roch, du roman que son nom désigne, son père, un quincaillier