Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/715

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Allemands veuillent faire tête. Ils recommencent à opposer une résistance, même une « vive résistance. » Néanmoins nous progressons lentement au Nord de Tergnier, et plus rapidement, « sérieument,  » au Nord de Soissons. Nous sommes, le 22, à Artemps, le 23, à Grand-Seraucourt ; nous approchons, le 24 et le 25, de Saint-Quentin et de La Fère. L’ennemi tente plus que de résister, il contre-attaque. Les dépêches officielles recommencent à dire : «la bataille. »

Tel est, pour le moment, fidèle, quoique tout sec, le tableau de la situation, qui ne pouvait être exactement tracé qu’en combinant les données de la carte et du calendrier, et que nous n’avons pas voulu, qu’il ne fallait pas charger en couleur. Mais quel spectacle dans la réalité ! La double centaine de villages que, les Anglais et nous, nous avons délivrés, sont-ce bien des villages ? Étaient-ce des hommes qui les habitaient, et sont-ce vraiment des hommes qui, les derniers, s’y sont terrés ? Devant cette misère, le style du communiqué, d’ordinaire impassible, s’émeut : « Partout, sur notre passage, nous avons pu constater les preuves d’un vandalisme systématique ; les destructions accomplies par l’ennemi n’ont la plupart du temps aucune utilité militaire. Cet après-midi même, nos aviateurs ont signalé que les ruines historiques du château de Coucy avaient été détruites par une explosion. » Les ruines elles-mêmes ! Etiam periere ruinæ. Nous retrouvons, avec son odeur forte, le mélange de grossièreté et de pédanterie qui sont le fond de l’âme allemande et de l’esprit allemand. Ce n’est pas assez de meurtrir la France vivante : comme à Louvain, comme à Reims, on se donne la joie perverse de blesser, en outre, et, si l’on le pouvait, d’humilier un illustre passé, qui n’est point un passé allemand, auprès duquel le passé allemand fait une basse et vulgaire figure de parvenu. Cette rage qui s’exerce contre les choses et qui se targue de faire souffrir même la terre et les pierres de chez nous, qui rase les vergers, scie les arbres des routes et empoisonne les puits, cette même rage s’aiguise et s’exaspère contre les personnes. Quand le communiqué a dit : « La plupart des villages en avant de nos lignes dans la région de Saint-Quentin sont en flammes,  » ou : « La plupart des villages conquis sur le plateau de Soissons sont détruits,  » il ajoute : « En évacuant Noyon, l’ennemi a emmené de force cinquante jeunes filles de quinze à vingt-cinq ans. » C’est d’une autre source que nous l’apprenons, mais on nous assure que, de Nesle, et des environs, non plus cinquante, mais cent soixante-quatre femmes ou jeunes filles, ont été aussi odieusement emmenées. Il y a bientôt un an que le