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Un des objets de l’analyse abstraite est l’étude de l’idée de fonction, c’est-à-dire de dépendance entre deux ou plusieurs variables. Il a fallu longtemps avant qu’on se rendit compte de l’étendue extraordinaire de cette notion. On doit d’ailleurs reconnaître qu’il est indispensable pour les progrès de la science que les choses paraissent d’abord simples. Sans vouloir trop généraliser, on peut dire que l’erreur est quelquefois utile. Le calcul différentiel n’aurait pas pris naissance, si Newton et Leibnitz avaient pensé que les fonctions continues n’ont pas nécessairement une dérivée, notion dont l’origine est dans le sentiment confus que nous avons de la rapidité plus ou moins grande avec laquelle s’accomplissent les phénomènes. Un jour devait venir cependant, où l’idée de fonction serait approfondie dans toute sa généralité. En France, Cauchy avait été dans ce domaine, comme dans bien d’autres, un précurseur. Le mémoire de Darboux sur les fonctions discontinues, paru en 1875, marque une date dans l’histoire de la critique des principes du calcul infinitésimal.


On donne souvent le nom de géomètres aux mathématiciens. À l’Académie des Sciences, la section de mathématiques pures s’appelle la section de géométrie. Or plus d’un mathématicien éminent n’a jamais écrit une ligne sur la géométrie proprement dite, c’est-à-dire sur l’étude des propriétés des figures faite à un point de vue synthétique, sans aucun mélange de considérations analytiques. Les procédés de l’analyse mathématique et de la géométrie analytique d’une part, de la géométrie pure d’autre part, ont été quelquefois au siècle dernier opposés les uns aux autres. Il fut un temps où les analystes reprochaient aux géomètres de n’avoir pas de méthodes générales ; les géomètres répliquaient que les méthodes générales ne sont pas tout dans la science, et qu’elles empêchent même souvent de voir les choses directement et en elles-mêmes.

On peut, je crois, affirmer que dans ces discussions, où ont été mêlés les noms de grands mathoinaticieiis, tous avaient tort en quelque manière. Au point de vue historique, nous voyons l’algèbre géométrique des anciens se séparer peu à peu de la géométrie. L’algèbre proprement dite arrive ainsi à l’autonomie avec son symbolisme et ses notations de plus en plus perfec-