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pas une hospitalisation accordée à celle-ci par ceux-là. Ce fut une cohabitation. Je crois que le phénomène est unique dans l’histoire de deux races vivant sur le même sol, s’endormant, quand vient le soir, dans les mêmes murs, et menant chacune, avec une absolue cordialité, la conduite de ses intérêts différens.

D’autres villes françaises, Le Havre, Calais, Boulogne, Amiens, Abbeville, connaissent actuellement une situation analogue. L’importance de la base anglaise de Rouen mérite à la vieille cité si curieuse en son archaïsme de servir de type à l’étude de ce cas psychologique né, avec tant d’autres, de la guerre.


Au début de l’année 1917, les Anglais avaient contracté dans la ville de Rouen 337 locations d’immeubles. Il s’agit là de ces fameux baux de trois ans qui, au début de la guerre, hélas ! avaient stupéfié la population, et que l’on citait avec étonnement dans toute la France comme une originalité de nos alliés britanniques escomptant une durée si improbable des hostilités.

Ces maisons louées avec la munificence d’un peuple qui ne connaît pas la parcimonie dans ses marchés ou ses contrats, servent toutes à l’installation des bureaux nécessaires aux différens services militaires. Bien entendu, il n’est pas question ici du logement des troupes. Les contingens de renforts cantonnés à Rouen sont d’un chiffre qui varie tous les jours, mais dont le chiffre officiel du front anglais, — deux millions de soldats, — donne une idée approximative, quand on songe qu’une grande partie de cette armée a passé par la cité normande, y a son repos. C’est à l’extrémité d’un faubourg de la ville, dans une vaste plaine qui s’étend sur plusieurs kilomètres, que campent les soldats anglais sous des milliers de tentes coniques, éblouissantes quand le soleil brille, mystérieuses et grises lorsque la pluie si fréquente ici en lave la toile blanche. Quant aux hommes de l’Army service, qui correspondent à nos auxiliaires français et travaillent dans les bureaux, la ville leur a cédé ses casernes, et leurs officiers, qui touchent trois francs par jour d’indemnité de logement, prennent chez l’habitant des chambres meublées.