Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/821

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
817
ROUEN PENDANT LA GUERRE.

à un double point de vue : pour la visite médicale que viennent y passer de toute la France les réformés, les auxiliaires belges, les classes appelées sous les drapeaux par les dernières décisions du gouvernement du Havre, ensuite et surtout pour la rééducation qu’y reçoivent les mutilés. C’est ici que l’on centralise les amputés de tous les hôpitaux belges pour y recevoir les membres artificiels, les plus perfectionnés, les plus approchans de la nature qu’on puisse voir.

C’est aussi dans cet hôpital que sont donnés, par des doctoresses suédoises, les soins des célèbres massages subtils et délicats, dont l’ensemble forme la médication d’une école. Il fut très difficile à l’autorité militaire belge d’obtenir le concours de ces lointaines princesses de science. Dès le début de la guerre, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, en particulier Vienne et Buda-Pesth, avaient mobilisé toutes ces infirmières spéciales, dont les mains savantes connaissent des secrets. On ne put recourir, en fin de compte, qu’à celles qui vivaient soit en Angleterre, soit à Paris. À Bonsecours, elles ont formé des élèves chez les jeunes médecins belges, et le massage suédois est appliqué en grand aux blessés concurremment avec la mécanothérapie. Je reverrai toujours un robuste Flamand, atteint depuis plusieurs mois de cette blessure invraisemblable, une fracture de la colonne vertébrale, et qui soulevé et soutenu par le bras vigoureux de la Suédoise, réapprenait à marcher. D’une taille qui dominait la sienne, elle était grave et douce. Ce grand garçon fort et inerte n’avait, semblait-il, d’espoir qu’en elle. Pour elle, une passion semblait la posséder : la Science.


Rouen est sans doute la ville de France où la grande rafale aura laissé les transformations les plus larges, les plus radicales et les plus durables. À l’encontre de tant de grandes cités ruinées, mutilées, désagrégées, la vieille capitale normande si fièrement assise aux rives du plus doux des fleuves, a toujours semblé, depuis la bataille de la Marne, sonner prophétiquement la victoire et annoncer pour l’avenir cette ère opulente et prospère qui doit refleurir en France par-dessus le cataclysme. Rouen n’a pas attendu le retour glorieux de nos soldats pour inaugurer cette brillante fortune des affaires. Quelques personnes ont affecté d’en être scandalisées. Elles eussent préféré,