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désormais d’aplomb sur ses deux pieds. Et revenant sur la présence de l’Empereur à la séance de rentrée, le président ajoutait en riant de bonne humeur :

« On avait voulu faire croire à Sa Majesté que l’assemblée était composée de loups et de tigres. Sa Majesté a voulu en avoir le cœur net. L’Empereur est venu parmi nous, il a vu de ses yeux et il sait bien, aujourd’hui, que l’on peut s’entendre. »

Si, doué de seconde vue, j’eusse annoncé à M. Rodzianko qu’un an plus tard, presque jour pour jour, il irait présenter lui-même un acte d’abdication à Nicolas II, il aurait certainement trouvé la plaisanterie de très mauvais goût…

Une autre fois, c’était M. Maklakof, un des chefs les plus brillans, les plus spirituels du parti cadet, qui parle notre langue comme un Parisien, dont la conversation est un feu d’artifice de mots et de formules qui feraient de lui un de nos plus vifs chroniqueurs. Lui aussi croyait fermement à une évolution politique qui s’accomplirait régulièrement, dans les formes du gouvernement monarchique. L’idée qu’on pût supprimer les Romanof lui faisait lever les bras au ciel : « Excellent moyen, s’écriait-il, d’alimenter la réaction ! Admirable idée de votre Gribouille ! »

Et un autre jour encore (il suffira de s’arrêter là), je questionnais M. Efremof, « progressiste » notoire qui, par le tour de ses pensées, par sa vue générale des choses, par son vocabulaire, par les détails mêmes de sa personne, évoquait le type du républicain de gauche tel qu’il existe chez nous. Il était, ce radical, moins certain que les octobristes ou les cadets que l’évolution dût être paisible et régulière. Le Tsar à la Douma ?…, Oui, sans doute, mais n’était-ce pas trop tard ? « L’abîme se creuse, » me disait le député progressiste en hochant la tête. Et pourtant, il ne croyait pas, lui non plus, à la subversion totale du régime, à ce qu’il appelait « une révolution sérieuse, » c’est-à-dire, d’un seul mot, à la Révolution…

Le moment où ces déclarations sincères et spontanées m’étaient faites était pourtant celui où commençait contre le mouvement libéral la réaction de ce qu’on devait désigner plus tard sous le nom d’ « influences occultes. » M. Stürmer avait été désigné par l’Empereur pour succéder à M. Goremykine dans les derniers jours de janvier (du vieux style). Nous savons aujourd’hui que c’est de ce choix malheureux que datent le