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singulièrement compliqué. La Russie adoptait peu à peu les formes des gouvernemens occidentaux : dans ces formes creuses, la pensée de Nicolas II, tantôt hésitante et tantôt obstinée, ne savait que mettre. La Russie avait une Chambre, mais bridée, impuissante et qui s’irritait. Kilo avait un président du conseil et des ministres qui continuaient à n’être aux yeux de l’Empereur que des fonctionnaires et qu’il choisissait parmi les fonctionnaires. C’était le système contre lequel protestait l’opinion libérale. Mais, d’autre part, les fonctionnaires eux-mêmes se sentaient menacés dans leur omnipotence et leurs privilèges par un mouvement d’idées sans cesse croissant, par des forces nouvelles qui se développaient à vue d’œil. Nicolas II, qui avait encore trouvé dans le haut personnel bureaucratique des ministres dévoués à sa personne et au bien public, et capables de servir une idée avec désintéressement comme Stolypine, continuait comme par le passé à puiser dans le tchin. Il ne s’apercevait pas que le tchin, exploitant sa faiblesse, spéculant sur son aveuglement, ne se servait plus de l’autorité qu’il recevait de l’Empereur que pour défendre sa propre situation.

La guerre venue, la bureaucratie a craint plus que jamais de se voir dépossédée, et elle avait, en effet, les plus sérieuses raisons de le craindre. Non seulement elle n’avait pas préparé la Russie à soutenir la lutte, non seulement elle se savait inférieure à la tâche de donner à la Russie les moyens de se défendre et de vaincre, mais encore le cœur n’y était pas. Jadis elle s’était formée sur le modèle prussien et à l’aide d’élémens germaniques. C’était le temps où le progrès occidental était venu à la Russie à travers l’Allemagne, où, pour être bien vu, bien noté de Pierre et de ses successeurs férus d’organisation prussienne, il fallait porter un nom allemand. Plus d’une famille russe, au XVIIIe siècle, pour parvenir, avait germanisé son nom. De ces origines, une forte empreinte était restée marquée sur la bureaucratie. Sans enthousiasme, et même avec appréhension, les gens du tchin avaient vu éclater la guerre avec l’Allemagne. Quand ils s’aperçurent que la guerre aggravait leur impopularité, dressait en face d’eux des organisations concurrentes et qui se montraient capables de les supplanter dans tous les domaines où eux-mêmes apparaissaient inertes et insuffisans, ils n’eurent plus qu’une idée : et ce ne fut pas, — en quoi ils se sont condamnés, — de réparer leurs fautes