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avec d’autres correspondans en Allemagne. A Graesbeck, à 15 kilomètres de Bruxelles il voit les premières maisons en flammes. Jusqu’à Liège, elles ne cessèrent de flamber :


Les processions de paysans qui fuyaient leurs villages incendiés, pour ne trouver que d’autres villages en cendres, se suivaient interminablement. Tout ce beau pays qui va de Bruxelles à Aix-la-Chapelle était un cimetière. Un cyclone suivi de flammes semblait avoir déraciné et ravagé ses maisons, ses jardins, ses vergers. A sept heures du soir, le train arriva à Louvain. Les Allemands brûlaient la ville et, pour nous cacher leur ouvrage, nous tenaient enfermés dans nos wagons. Mais leur infamie était écrite sur le ciel : elle nous fut révélée par les incohérences des soldats ivres de carnage, les figures des femmes et des enfans qu’on emmenait aux camps de concentration, des hommes qu’on entraînait au peloton d’exécution. La nuit était sans vent, et les étincelles montaient en tranquilles colonnes massives et retombaient dans la fournaise. Les flammes éclairaient si bien la gare qu’on lisait les secondes au cadran des montres. — Puis ce fut l’obscurité où l’on distinguait les officiers aux torches électriques bouclées sur leur poitrine. Et dans les ténèbres, les uniformes gris semblaient remplir la gare d’une armée de fantômes. On ne voyait les hommes qu’aux rouges lueurs des pipes ou à l’éclair d’une baïonnette. Sur la place de la gare, les gens de Louvain passaient sans fin, les femmes en tête, les hommes portant des enfans endormis, entre les lignes vagues de cette armée de loups gris. — Un arrêt pour laisser passer une file d’hommes qu’on allait fusiller, arrêtée à son tour pendant qu’un officier montait sur une charrette pour expliquer pourquoi on les fusillait. Les phares d’un automobile éclairaient l’officier qui hurlait. Il semblait un acteur, seul éclairé sur une scène obscure. Et tout semblait, d’ailleurs, une scène de théâtre, irréelle, inhumaine. Cela ne pouvait pas être vrai. Ce n’était qu’un rideau de feu peint, ces étincelles qui crépitaient et montaient vers les calmes étoiles ; ces fusillades qui venaient des noires ruines tiraient sûrement à blanc ; ces boutiquiers et ces paysans tremblans, environnés de baïonnettes, n’allaient pas réellement mourir. Non, tout cela n’était qu’un cauchemar cruel d’incivilisés. Et puis, on se rappelait que le Kaiser allemand nous a dit ce que c’était réellement : Sa Guerre Sainte.


Suivent sans transition de vives images de Paris en temps de guerre, de la bataille de Soissons, du bombardement de Reims. Davis assista à l’agonie de la cathédrale, put prouver à ses concitoyens que cette destruction fut volontaire et