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lieues dans l’espace. Elle sent que les barbares, au sens où les Grecs employaient le mot,


n’étaient pas nécessairement des hommes ou un peuple dépourvus de civilisation, mais du sens spirituel des valeurs. Ils n’avaient ni goût, ni talent pour ces aménités de la vie quotidienne qui s’expriment superficiellement dans les manières ; et plus profondément par les réactions de la sensibilité. Ils n’en avaient pas davantage pour ces aménités de l’âme connues sous le nom d’honneur, de justice, de miséricorde. Les barbares méprisaient comme faibles et dégénérés ceux qui se laissaient mener dans leur conduite par des considérations non utilitaires… Le barbare ne meurt jamais complètement. Dans toute race, toute nation, on trouve des exemplaires affinés de l’instinct barbare, de la philosophie barbare de la vie. Je connais personnellement un grand nombre de barbares, — la société américaine en pullule, — et la connaissance que j’ai d’eux, de leur force et de leurs limitations, me permet de comprendre les Allemands modernes tels que cette guerre les révèle, — des gens et un peuple qui ne reconnaissent pas l’idéal de goût, d’honneur, d’humanité, les valeurs que les non-barbares résument dans l’expression « dignité morale. »


Et ce n’est pas l’idéal militariste de l’Allemand, sa civilisation mécaniste, pas même sa brutalité et sa vulgarité, pas même la férocité de ses méthodes de guerre : c’est l’érection méthodique de la théorie barbare en principe de civilisation qui révolte le Latin, la barbarie raisonnée, intellectuelle, qui élève les instincts et les impulsions du barbare à la hauteur d’une philosophie de la vie avec les sanctions de la religion. « Et c’est là la menace de l’Allemand : non pas sa force ou sa brutalité, mais le risque qu’il ne réussisse à imposer au monde sa croyance atroce, le risque de l’énorme crédit que la victoire donnerait à sa détestable doctrine, au principe du mal dans le monde. » Déjà ce principe que « la science crée la puissance ; la puissance, la loi ; la loi, l’humanité ; que la force prime le droit, et que le succès seul importe » a infecté toutes les nations, sans en excepter l’Amérique. L’Allemagne ne fait qu’incarner avec bestialité et adopter avec cynisme la croyance meurtrière qui aujourd’hui sape l’humanité. Le conflit est ouvert non seulement entre le Latin et le Germain, mais entre le civilisé et le barbare : et ce n’est pas l’idéal d’un peuple ou d’une race, mais tout l’héritage de l’homme qui est l’enjeu de la partie : la France combat la barbarie autant que le barbare. Le clair