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ovations qu’il souleva furent parfois des ovations au rebours ; et il semble que l’influence de Plekhanoff, montrant que l’avenir de la démocratie naissante était, pour la Russie, lié étroitement à la victoire sur l’Allemagne, ait finalement triomphé de la sienne. Mais voilà où l’on en est, à Pétrograd ; et c’est ce qui appelle et fixe la réflexion. On en est à établir, par raison démonstrative, la nécessité de la victoire. On discute l’indiscutable, la guerre, qui dure, s’exaspère, et se décide, pendant qu’on la discute. Notons qu’il ne s’agit plus des buts de guerre, mais du fait même, du fait acquis, actuel, urgent, impératif, impitoyable, de la guerre. Que le gouvernement provisoire, après le Comité du Palais de Tauride, que le prince Lvoff, son président, que M. Milioukofï, ministre des Affaires étrangères, revenant sur des déclarations antérieures, renoncent, pour le jour où la paix sera possible, à toute pensée d’annexion ou de conquête, qu’ils répudient la tradition russe, refusent le testament de Pierre le Grand, abandonnent Constantinople et les Détroits, cela les regarde, cela ne regarde qu’eux. Mais « pour le jour où la paix sera possible. » Ce jour n’est pas encore venu. La paix, présentement, est impossible. Elle est impossible, d’abord, il faut le dire franchement, parce que les Empires du Centre et leurs complices en ont un trop vif désir, marquent trop qu’ils en ont le désir, et, en même temps qu’ils le marquent, laissent trop voir qu’ils nous tendent un piège, et que ce qui serait pour eux une paix « pleine d’honneur, » et un bon marché, ne serait pour nous que déshonneur et duperie. Même s’ils nous disaient, ce qui pourrait arriver, dans la gêne extrême où ils sont, qu’eux aussi, ils se contentent d’une paix sans annexions et sans conquêtes, même dans ce cas, nous nous méfierions. Mais ils en sont toujours, au moins leur recteur de Munich et leur Reventlow, à parler de « saigner la France à blanc, » de ne point lâcher la Belgique, de garder le bassin de Briey, et de nous extirper à tous, les États-Unis compris, qui garantiraient la créance, une indemnité de cent milliards. C’est ce que la Russie doit savoir, c’est ce qu’elle ne peut pas, une heure de plus, négliger. Trop de forces de dissociation, de races, de classes, d’opinions ou de sentimens, tirent son unité et sa puissante à quatre chevaux, l’écartèlent et la désagrègent. Trop de politique et trop de politiciens la dissolvent. Il est indispensable, pour elle, pour nous, pour tous, qu’elle se ressaisisse et se raffermisse. Le premier besoin de la Russie, au sortir de ce bouleversement, est de se rasseoir dans une organisation quelconque, et de n’avoir ni deux gouvernemens, ni trois, ni plusieurs, mais d’en avoir un.