Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/724

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en toute sûreté, poser cet axiome : On peut défier le monde entier se battre, se débattre contre lui, le tenir en échec un certain temps, un temps plus ou moins long : on ne le bat pas.

Fatalement, on est battu ; à la longue même, il vous battrait les bras croisés, si seulement il croisait les bras. Toutes ces Puissances lointaines, les Amériques, l’Extrême-Orient, même celles qui ne songent pas à envoyer des troupes en Europe, porteront à l’Allemagne un coup formidable dès qu’elles ne lui enverront plus rien. Rien directement, rien indirectement. Rien à elle-même, rien pour elle aux neutres complaisans ou terrorisés. Des neutres, il n’y en a plus guère, en dehors de ceux qui sentent et à qui on ne laisse pas oublier qu’ils sont sous la botte. L’impitoyable Allemagne fait sur leur dos sa guerre au monde, assassine leurs marins, coule leur flotte marchande, anéantit leur commerce, coupe leur propre ravitaillement : plus de 600 000 tonnes à la Norvège, plus de 200 000 au Danemark. Ils souffrent tout, de peur d’être exposés à pis. Mais l’Espagne est, géographiquement, au bout de l’Europe, et, historiquement, elle est l’Espagne. M. Garcia Prieto ne pourra pas souffrir ce que le comte de Romanonès n’a pas souffert. Pour qu’il se satisfasse d’excuses qui ne valent qu’à terme, il faudrait que le torpillage du Patricio fût le dernier. Un de ces jours, après un nouvel attentat, tous les partis et toutes les provinces, non seulement les républicains et les libéraux des grandes villes, mais les carlistes des pays basque et navarrais, se remettront à parler castillan. A cette heure, le service le plus utile que puissent nous rendre nos Alliés des Amériques, c’est, en mesurant exactement leurs expéditions aux neutres sur les besoins vérifiés des neutres, — chiffres de 1913, par exemple, — de les enfermer dans leur neutralité. Qu’ils les aident à se nourrir, soit, mais non pour qu’ils aident à nourrir l’Allemagne. Pour nos amis, le neutre ne peut plus être neutre, qui alimente nos ennemis.


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant.

RENE DOUMIC