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l’Europe voir un des socialistes que je connais. Il me reçoit gentiment, en camarade. Je lui fais part de mes craintes : la Révolution russe déviant de sa véritable voie, passant de l’élan libéral et démocratique au socialisme révolutionnaire, puis à l’internationalisme et enfin risquant de verser dans l’anarchie ; je montre la capitale menacée, insuffisamment protégée par des troupes en qui le souffle révolutionnaire semble avoir éteint la flamme patriotique qu’il aurait dû aviver.

Une avalanche de reproches fond aussitôt sur ma tête : — On voit bien que depuis près de deux ans je « respire le souffle empoisonné de pessimisme de Pétrograd ! » Les Allemands vont venir ? Eh bien ! qu’ils viennent ! On les recevra. Savez-vous, oui ou non, de quoi une armée révolutionnaire est capable pour sauver la patrie en danger ?

Hélas ! encore la classique formule, née de l’admirable héroïsme de nos « sans-culottes » de 89 ! Oui, ceux-là, oui ! Ils avaient l’amour du sol natal chevillé à l’âme. Sans pain, sans souliers, armés de faux et de bâtons, pareils à des Titans, ils faisaient trembler les canons de Brunswick. Qui refera après eux l’assaut de Valmy ? Cette sublime indifférence devant le danger, ce consentement joyeux au devoir héroïque, ce dévouement fleuri de toute une jeunesse à une cause idéale et sacrée, — ah ! saluez ! c’est la France qui passe : qui la suivra dans ses rudes chemins ?

Les socialistes partent pour le front russe. Je les attends au retour.


DEVANT LE PALAIS DE LA DANSEUSE

Lénine, le zimmervaldien, le partisan de la défaite, le propagateur de la paix à tout prix, a fait, en arrivant dans son pays œuvre de parfaite indépendance en s’installant dans le palais de Mme Kchétinskaïa, la célèbre danseuse qui fut l’amie du Tsar, encore grand-duc. C’est ainsi qu’à l’instar de leurs bons amis les Allemands, les bolché-viki comprennent la propriété. Le site ne manque pas de majesté. Quant au palais, s’il est sans glace, on ne peut cependant prétendre qu’il soit sans beauté. Construit dans le style encore innomé de cette architecture que les Finnois disent avoir inventée, mais qui parait plutôt dériver des lourdes innovations allemandes, il se dresse derrière