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tâche. Les Anglais surent tout de suite la mesurer. Ils commencèrent par installer les fondemens de leur machine combat- tante, non seulement des bases comme celle que l’on nous montrait en un point de la côte française, mais la base générale qu’est toute leur île changée en arsenal de guerre. Ils les ont construits peu à peu, ces fondemens, avec leur conscience habituelle au travail, avec un souci de la solidité et de la perfection, — on a dit un luxe, — qui étonna, mais qui n’était que proportionné à ce qu’ils avaient prévu, dès le début, des dimensions et des durées du conflit. A mesure qu’il se prolonge et s’exaspère, on découvre l’utilité d’une si riche et minutieuse préparation. Aujourd’hui, cette partie de la tâche est achevée ; les armées, qu’une activité parallèle et non moins admirable ont suscitées, peuvent enfin déployer tout leur effort. La puissance industrielle du pays s’est rassemblée, organisée pour en nourrir et porter la puissance militaire. Elle se révèle à la grandeur des camps, à la copieuse richesse des équipemens et. de l’outillage, à la densité des services et de la circulation à l’arrière, à l’afflux toujours croissant des canons et munitions, à ces chaînes infinies de camions, à ces chemins de fer à double et triple voie, luisans sur leur lit de pierre, apparus à la place d’une petite ligne économique, et, plus souvent, là où il n’y avait rien, — à ces terminus en pleins champs, dont les rails multipliés sous des réseaux de fils télégraphiques, les grands trains de matériel, de renforts et de Croix-Rouge, les longues locomotives qui manœuvrent (j’en comptai quinze à la fois, quelques-unes accouplées, fumant près d’un simple bourg) rappellent l’approche d’une capitale, les abords noirs et rayés d’acier de King’s Cross et de Saint-Lazare.

L’Angleterre industrielle : il faut en avoir connu quelques aspects, le pays noir entre Birmingham et Manchester, des provinces entières, voilées, le jour, d’une éternelle fumée, éclairées, la nuit, du flamboiement infernal des hauts fourneaux ; il faut avoir vu la Tamise au-dessous de London Bridge, les perspectives fuligineuses et sans fin de docks, chantiers, usines, les paquets et chapelets de grands steamers immobiles et serrés comme les cabs dans Oxford Street ; il faut se rappeler aussi l’histoire de ce monde, son développement continu, vraiment organique depuis le XVIIIe siècle, ses dessous d’énergies spirituelles, sa conscience, ses ardeurs muettes et tenaces