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la ville un demi-cercle de plus en plus étroit : Lens, la capitale du pays minier, consacrée déjà autrefois par une bataille libératrice. La cité Saint-Pierre, la cité Jeanne-d’Arc, au Nord, et au Sud, la commune d’Avion, où sont les fosses 4 et 4 bis de Liévin, en forment comme les avancées. La prise ou plutôt la reprise de Lens, outre sa valeur intrinsèque, aurait une valeur de symbole. Ce serait en quelque sorte la clef de toute une région industrielle, où sont accumulés dans un petit espace nos moyens de production, les alimens et les instrumens de notre vie de paix et de guerre, qui serait remise entre nos mains. Mais c’est ici qu’il importe de tenir fortement en bride nos imaginations et de ne pas voir du coup la chose faite. Ce sera probablement long et dur. En tout cas, il vaut mieux le croire que de s’exposer à une déception, qui risquerait, étant donné notre penchant à nous exagérer le mal comme le bien, et la fatigue légitime de trois accablantes années, d’être suivie d’une dépression. Mieux vaut le croire que de nous ménager encore le désenchantement, le découragement d’une fausse défaite, ou simplement d’un faux échec, qui n’aurait jamais existé que par rapport à l’énormité de nos espérances, mais qui n’en aurait pas moins l’inconvénient grave de nous abattre ou de nous rabattre en nous-mêmes, comme devant nos alliés, nos ennemis et les neutres. Nous ne pourrions être vaincus que par cette inclination de notre caractère que nous pensions avoir vaincue. Il y a longtemps qu’on a écrit de nous : « Ils savent si peu supporter leurs malaise et leur gêne, et, à la longue, ils négligent tellement les choses qu’il est facile de les trouver en désordre, et de prendre le dessus sur eux. » Mais trois ans de constance paraissaient avoir démenti ce dicton de trois siècles. Il ne s’agit plus que du dernier quart d’heure ; et il est vrai qu’étant le dernier, il dure plus, compte plus, pèse plus que d’autres heures tout entières ; mais aussi, étant le dernier, il est décisif et définitif. C’est le moment de nous rappeler que si, dans certains parlers locaux, on dit : « espérer » pour « attendre, » patienter, en bon français, signifie « supporter, » et, au besoin « souffrir. »

Depuis deux mois, nous supportons, au Chemin des Dames, au plateau de Craonne, l’assaut sans cesse renouvelé des Allemands, qui, eux, ne se sont pas trompés sur le prétendu insuccès de nos offensives du 16 avril et du 5 mai. Des deux cent trente divisions, qui, sauf erreur ou omission, composent à présent l’armée impériale, nous en avons sur le corps, sur les bras, les Anglais et nous, plus de cent cinquante. Nous les y avons, ou nous les y avons eues, puisque nous en avons usé beaucoup, et que, les Russes rentrant en activité,