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Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/488

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à la Prusse. Séparés les uns des autres, vivant sous des législations différentes, administrés par des fonctionnaires originaires de pays à cultures et à mœurs dissemblables, les Alsaciens-Lorrains n’auraient pas pu coordonner leurs efforts, et leur résistance à la germanisation méthodique de leur vie nationale en eût été considérablement amoindrie. Heureusement le parti militaire veillait. Il était avant tout préoccupé d’organiser le « glacis » en vue des conquêtes que, dès cette époque, il prévoyait et souhaitait. Et pour qu’il fût possible d’arriver à ses fins, sans que le particularisme des États y mît obstacle, il fallait que l’Alsace-Lorraine fût dotée d’une autonomie relative et que le roi de Prusse y exerçât le pouvoir souverain.

Bismarck, après quelques hésitations, devait d’ailleurs se résigner aisément à une combinaison qui lui permettait, tout en assurant la sécurité de l’empire, d’établir entre tous les États allemands une sorte de solidarité dans le crime. En faisant de l’Alsace-Lorraine la propriété collective des princes confédérés et en y attribuant le pouvoir législatif au conseil fédéral, il s’assurait les concours les plus décidés et les plus durables. Le « pays d’empire » devenait le symbole de l’unité allemande restaurée sous l’hégémonie prussienne. En voulant y porter atteinte, on s’attaquait à l’ensemble des États, désormais complices d’un crime devenu collectif.

Ce fut là l’idée maîtresse qui présida, pendant les quarante-quatre années qui séparèrent les deux guerres, à l’évolution du statut national de l’Alsace-Lorraine. L’histoire des provinces annexées se subdivise, pendant ces quarante-quatre années, en trois périodes nettement définies.

Jusqu’en 1879, l’Alsace-Lorraine n’a aucun droit. Le pouvoir est exercé par l’Empereur, qui délègue une partie de ses attributions souveraines à un gouverneur. Une sorte de conseil général agrandi examine le budget, mais celui-ci est voté par le Reichstag. Le gouverneur est armé de pouvoirs dictatoriaux. Il peut, d’un trait de plume, expulser les indigènes, supprimer les journaux, dissoudre les associations, faire procéder à des perquisitions de jour et de nuit.

En 1879, premier essai de loi constitutionnelle. Un parlement est créé à Strasbourg. Ses membres sont élus en partie par les