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très simple que la civilisation est une question de transports : chaque morceau de route, chaque courbe le prouve. Sur le front français, la Providence ne fournit pas l’avantage si appréciable de ces rivières dont le lit permet de remplir à la pelletés wagonnets qui promènent à travers tout le paysage la jolie pierre destinée aux routes. On ne trouve pas non plus, en France, ces montagnes généreuses où un homme n’a qu’à étendre la main pour en tirer la pierre de toutes les Pyramides. Et enfin nulle part il n’existe des populations habiles de naissance aux travaux de maçonnerie. Disons-le donc, en transposant un mot de Macaulay : ce que la hache est au Canadien, ce que le bambou est au Malais, ce que le bloc de neige est à l’Esquimau, la pierre et le ciment le sont à l’Italien, et j’espère le montrer par la suite.

Les soldats italiens portent un casque d’acier qui diffère un peu du casque français et les fait ressembler de loin à des légionnaires romains sur une frise triomphale. La taille, le physique et, par-dessus tout, l’équilibre des hommes leur sont particuliers. Ils semblent plus souples dans leurs mouvemens d’ensemble et moins surchargés d’accessoires que les soldats français et anglais ; mais la différence essentielle consiste dans leur manière de marcher, — la manière même dont ils frappent du pied le sol et semblent, à chaque pas, en prendre possession. Ce peuple a un sentiment de la propriété aussi vif que celui du Français. Les innombrables troupes en gris-vert laissent voir dans leur marche à travers ces belles campagnes leur amour des moissons et leur respect de la terre. Quand des hommes vivent toujours en plein air, il y a entre eux et leur milieu une sorte de pénétration réciproque et naturelle, qu’on ne trouve pas chez ceux que le climat ou leurs occupations maintiennent à la maison pendant la plus grande partie de l’année. L’espace, la lumière, l’air, tout le mouvement de la vie sous le ciel vivifiant, entrent pour une grande part dans le fond psychologique de l’Italien.

Si bien que lorsqu’on ordonne à un soldat de s’asseoir dans la poussière et de rester là sans bouger, tandis que passent les obus, il le fait aussi naturellement qu’un Anglais approche une chaise du feu.